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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/767

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champ de l’ancienne aristocratie n’a point été véritablement renouvelé et repeuplé par la luxuriante et vulgaire végétation qui le couvre à tel point aujourd’hui que c’est à peine si l’on peut encore y distinguer les rares et pâles fleurs de l’antique noblesse ; mais, nous le répéterons sans cesse, ce serait une grave erreur de croire que toute aristocratie a péri avec cette vieille caste. Les ordres de la naissance et du privilège ont disparu sans retour ; il reste les ordres de l’intelligence, de la capacité, de la distinction, de l’influence sociale. Si 93 a tout voulu courber sous son stupide niveau, il a mal compris en cela la grande œuvre démocratique de 89. On ne pourrait compter ces ordres si considérables par le nombre, le talent, l’autorité, les services privés et publics rendus à la société et à l’état : l’ordre des magistrats, l’ordre des ministres des cultes, l’ordre des professeurs, l’ordre des avocats, l’ordre des ingénieurs, l’ordre des officiers de l’armée, l’ordre des propriétaires influens et bienfaisans, l’ordre des directeurs d’usines, de fabriques et de manufactures, et tant d’autres que le progrès de notre société démocratique a multipliés et développés sur toute la surface du pays. Dans ce pays, il faut bien le dire, de jalouse égalité, où l’on ne courbe plus la tête devant l’aristocratie de naissance, où on ne l’incline pas volontiers devant l’aristocratie de la richesse, on accepte encore, grâce à Dieu, l’aristocratie de l’esprit, de la vertu, de l’éducation et de l’instruction. On l’envie sans doute aux riches qui y prennent rang si facilement, même aux pauvres qui, à force de travail et de talent, en ont ouvert les barrières ; mais on ne conteste guère aux uns et aux autres leurs titres de supériorité morale ou sociale, et leur droit à une autorité, à une influence toute particulière dans le gouvernement et l’administration du pays. C’est en un mot la seule aristocratie avec laquelle notre démocratie puisse consentir à partager le pouvoir. Voilà évidemment où il faut chercher les élémens de la seconde chambre. Là, on est assuré de n’avoir que l’embarras du choix.

En indiquant les sources vraiment aristocratiques, dans le sens nouveau du mot, où l’on pourrait puiser pour faire une chambre haute, nous n’avons pas entendu trancher la difficile question de savoir qui fera ce choix, si ce sera le suffrage universel enfermé dans des catégories, ou un corps électoral spécial, ou enfin le gouvernement lui-même, soit par l’organe de la première chambre, soit par l’organe du pouvoir exécutif. Nous avons voulu seulement montrer que, dans un pays comme le nôtre, la matière ne manquait pas pour former un sénat ou un grand-conseil. Nombre de systèmes plus ou moins ingénieux, plus ou moins pratiques, ont été imaginés par l’initiative individuelle, au dedans ou au dehors du parlement,