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les supplions de réfléchir s’il peut y avoir quelque chose qui les arrête devant l’impérieuse nécessité d’une pareille résolution. Il est des momens dans la carrière d’une assemblée politique où ne rien faire est le pire des partis ; notre conviction profonde est que l’assemblée en est là. Il ne faut pas être prophète pour prédire que nulle opinion ne trouvera complète satisfaction dans le vote des lois constitutionnelles, même la plus logique et la plus raisonnable. Pour faire quelque chose, les gens sensés doivent songer avant tout que des solutions médiocres sont infiniment préférables à un avortement. La crise actuelle, et le mot n’est pas trop fort pour caractériser la situation, est de celles d’où l’on ne sort qu’en prenant un grand parti. À la droite, nous disons que le spectre révolutionnaire qui lui cause tant de frayeur ne peut être conjuré que par l’union des conservateurs de toute nuance ; à la gauche, nous répétons que le spectre impérial qui lui fait horreur ne peut s’évanouir que devant le drapeau d’une république libérale où les conservateurs de toute origine aient leur place et leur rôle. Tous les partis honnêtes ont aujourd’hui le même intérêt à confondre, à serrer leurs rangs contre les deux dangers de l’avenir, l’empire et la commune. Qui n’en voit qu’un est aveugle à moitié. Toute politique qui n’a qu’un objectif n’embrasse pas toute la situation. La horde qui a fait la commune la referait encore à Paris, et dans toute la France, malgré les radicaux qui n’osent la flétrir, si elle ne sentait point peser sur elle la forte main de la loi. Malgré les faux conservateurs qui osent le regretter, l’empire, qui a commencé le démembrement de notre pays, l’achèverait, s’il retrouvait le pouvoir par un coup de dé plébiscitaire. Légitimistes sensés, orléanistes constitutionnels, républicains libéraux, patriotes de tous les partis, vous tous, chefs ou soldats, princes ou citoyens, qui avez souci par-dessus tout de la liberté, de l’honneur, du salut de votre patrie, le moment est venu d’oublier enfin ce qui vous a divisés, pour ne vous souvenir que de ce qui vous a unis dans toutes les grandes questions nationales que vous avez eu à résoudre. Nationale encore est la question qui vous reste à trancher, car l’existence peut-être du pays en dépend. Faites enfin de concert cet acte de raison qui s’appelle l’organisation constitutionnelle du gouvernement actuel, cet acte d’absolue nécessité sans lequel il faudrait aller aux élections avec le mot fatal de Lamartine en 1848 : alea jacta est. Si vous ne trouvez pas l’exemple rassurant pour les destinées de votre pays, ne vous séparez pas en laissant à la fortune tout ce que votre sagesse peut prévoir et prévenir. Voilà ce que la France attend de vous, et pourquoi elle a mis son sort entre vos mains dans les élections de 1871.


E. VACHEROT.