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investigations au-delà de la frontière russe ; il proteste contre les théories accréditées sur l’origine du peuple bulgare. Presque tous les historiens, depuis le XVIIIe siècle jusqu’à Schafarick, ont admis que les Bulgares étaient une horde turco-finnoise qui avait subjugué les tribus slaves de la Bulgarie actuelle, s’était absorbée et perdue dans le peuple vaincu en lui donnant son nom, et avait constitué ainsi le puissant royaume slave qui fit un moment trembler l’empire de Byzance. Pour appuyer cette théorie, on invoquait certaines coutumes des conquérans, mentionnées dans les Réponses du pape Nicolas, et qui sentaient l’Orient touranien : l’habitude de s’asseoir sur les talons, les étendards en queue de cheval, les turbans, les prosternations devant le prince, la polygamie, les sermens sur une épée nue, les crânes ennemis servant de coupes dans les joyeux festins. M. Ilovaïski s’efforce de prouver que ces usages ne sont nullement particuliers aux peuples turco-finnois et peuvent se rencontrer aussi bien chez les Slaves. Son mémoire, très riche de recherches et d’idées, aura l’avantage sinon de résoudre définitivement ce problème compliqué, au moins de rappeler l’attention des savans sur des questions que l’on considérait comme jugées.

La vie domestique et sociale des anciens Slaves a été l’objet d’intéressantes lectures de M. Kostomarof sur l’organisation de la droujina des kniazes russes, espèce de truste ou de bande princière avec laquelle ils gouvernaient et administraient tumultuairement les pays slaves, de M. Loutchiteki sur la magie et la démonologie dans les différentes branches de la race russe. M. Loutchitski est déjà connu en France par son curieux travail intitulé l’Aristocratie féodale et les calvinistes français du seizième siècle. Même dans l’art contemporain, dans les ornemens rustiques dont décorent leur poterie, leur menuiserie, les harnais de chevaux, des artistes qui n’ont d’autres leçons que celles de la tradition villageoise, on rencontre de précieuses données pour l’archéologie et l’ethnographie des Slaves. M. Stasof a créé comme une science nouvelle lorsqu’il publiait en 1872 une collection de dessins copiés sur les chemisettes, les tabliers, les essuie-mains brodés par les paysannes de la Grande-Russie. Il y a là une variété infinie de motifs, le système d’ornementation traditionnelle se modifiant parfois d’un village au village voisin. Suivant M. Stasof, on peut saisir dans ces dessins des influences finnoises, persanes, indiennes. On y démêle en effet des figures d’animaux ou d’oiseaux, des plantes, des édifices dont l’original ne se retrouve qu’en Orient, nullement en Russie. On y remarque des étoiles, des signes de bon augure qui ont un sens dans les mythes asiatiques et n’en ont aucun dans les idées moscovites d’aujourd’hui. Les planches qui accompagnent l’ouvrage de M. Stasof nous montrent dans