Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/809

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

légende latine et ont paru d’abord en langue polonaise. Ces ballades ont donc si peu un sens mythique dont il faille chercher l’explication dans les anciennes religions de la Petite-Russie, qu’elles ne sont même pas indigènes de ce pays.

On pouvait espérer que la publication de MM. Antonovitch et Dragomanof permettrait de résoudre une question importante de l’histoire littéraire. On connaît les bylines russes qui célèbrent les exploits de Vladimir, prince de Kief, d’Ilia de Mourom, d’Alécha Popovitch, et autres pourfendeurs de Tatars et de dragons. Ce qu’il y a d’étrange, c’est que ces bylines se chantent d’un bout à l’autre de la Grande-Russie, qu’on a pu les recueillir sur l’Onega, sur la Moscova, sur le Volga, et que c’est dans la Petite-Russie seulement qu’elles sont inconnues du peuple. C’est précisément dans les environs de cette ville de Kief, aux barrières de laquelle ont veillé les héros de ces légendes, et qui conserve dans ses catacombes le corps d’Ilia de Mourom, que le paysan aurait perdu la mémoire de leurs hauts faits. Peut-être trouverait-on dans le recueil des Chansons historiques de la Petite-Russie quelque allusion à ces merveilles épiques, quelque lointain écho des grands duels héroïques. M. Oreste Miller, en présence d’un public plus nombreux qu’à l’ordinaire, accouru pour écouter cette parole éloquente, a entrepris un parallèle entre les bylines grandes-russiennes et les doumas petites-russiennes. La principale différence qui éclate entre elles, c’est que les personnages des premières sont des héros surhumains, doués d’une force et d’une stature colossale, franchissant les rivières d’un bond de leur coursier, écrasant des armées entières avec leurs massues de seize cents livres. Les personnages des doumas sont des hommes hardis, aventureux, mais des hommes enfin, de simples cosaques. Quelques-uns seulement de ces braves présentent des traits qui rappellent les chansons moscovites. Voici Baïda que les infidèles ont suspendu par les côtes à un crochet de fer ; mais avant de mourir il tire trois flèches qui abattent successivement le sultan, sa femme et sa fille. Il n’y a que dans les poèmes épiques que l’on a des armes aussi infaillibles. Il faut noter aussi le nombre trois, qui est très caractéristique. Ce chevalier cosaque qui prend sur son dos la porte d’or de Kief pour la poser à Constantinople, est aussi un héros de bylines, son nom, Michaïlik, rappelle celui d’un compagnon d’Ilia, Michaïl Potik. Le seigneur Jourilo, après lequel courent toujours « trois cents jeunes filles, » ressemble bien à ce Tchourila qui faisait tourner la tête et « couper les doigts à la femme de Vladimir ; » mais ces rapprochemens sont trop peu nombreux, et jusqu’à présent la chanson petite-russienne semble s’être développée tout à fait en dehors du cycle de Vladimir et de ses influences.