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Ce n’est peut-être point une raison pour croire, ou bien que les Grands-Russes ont mis sous le nom de héros kiéviens des aventures empruntées aux épopées turques et finnoises, — ou bien que les Kiéviens d’autrefois ont émigré complètement dans la Grande-Russie, et ont été remplacés dans l’Ukraine par un peuple slave d’une branche différente, absolument ignorant de l’épopée kiévienne. Ces solutions extrêmes ne peuvent être admises que dans le cas où l’on ne trouverait dans la littérature petite-russienne absolument aucune trace du cycle de Vladimir. Or il est vrai que le recueil des deux professeurs n’en présente que très peu de traces ; ce recueil ne renferme que des chansons, et des chansons historiques. Reste à savoir si les poésies non historiques, les contes en prose, les légendes conservées dans les manuscrits, n’offriraient pas une plus ample matière épique. Les traditions sur Ilia de Mourom, c’est un fait acquis, étaient encore vivantes dans Kief du XVIe au XVIIIe siècle.


IV

Kief est admirablement choisi pour une réunion d’antiquaires. Quel plus beau cadre archéologique pour un tel congrès, sans compter que cette ville est dans une des situations les plus pittoresques de la Russie ! En arrivant par l’est, avant de franchir l’immense pont du chemin de fer, on voit apparaître sur la rive droite du Dnieper une ligne imposante de grandes collines qui se dressent à pic sur le fleuve, et qui forment une muraille de 400 ou 500 pieds de hauteur dans laquelle s’ouvre une brèche qui est le ravin du Krechtchatik. Ce sont d’énormes dunes sablonneuses, mais qui ont presque la consistance de falaises ; à leur crête, sur une longueur de 7 à 8 kilomètres, s’élèvent des clochers bulbeux, les coupoles d’or des églises et des monastères, dont la splendeur annonce au loin la cité sainte. Vous apercevez tout d’abord trois des villes qui forment la ville de Kief. En aval est la Lavra ou le monastère des Catacombes avec ses innombrables monumens, — en amont, le vieux Kief où abondent les antiquités ; — au pied de la berge qui le supporte, sur un terrain de forme triangulaire, plat et bas, presqu’au niveau du Dnieper et qui est souvent envahi par ses flots, est le Podol, qui, lui aussi, se hérisse de coupoles et de clochers. Dans les temps anciens, ce n’était qu’une prairie marécageuse : une des rues a conservé la dénomination caractéristique de « rue de la Boue-Noire. » Dans cette boue noire, parmi ces miasmes qui engendrent à certaines saisons des maladies particulières à ce quartier, vit une population de pêcheurs, de marchands, d’Israélites. Enfin à l’ouest et au sud de la vieille cité, perchés sur des collines,