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prête Nestor au Salomon des Slaves. Presqu’au pied de la Lavra est le tombeau d’Askold, un des deux chefs varègues qui régnèrent ici bien avant Rurik. Quant à la ville même de Kief, depuis le commencement du siècle, ses anciens remparts ont été nivelés : il n’y a plus trace de ses tours, ni du palais de ses princes ; mais on montre encore la fameuse porte d’or élevée par Jaroslaf à l’imitation de celle de Constantinople et qui n’est plus qu’une ruine informe au milieu d’un square. Sous ce Jaroslaf, Kief atteignit au XIe siècle son plus magnifique développement : c’est alors qu’elle fut la ville aux 700 églises. Après la mort de ce Charlemagne russe, qui fut le beau-père d’un roi de France, Kief eut le sort d’Aix-la-Chapelle. Pillée pendant les guerres civiles des princes russes, saccagée par les Tatars en 1280, conquise par les Polonais, sa décadence fut rapide. Le savant archiprêtre Lébédintsef rappelait dans sa lecture au congrès que vers le milieu du XVIe siècle de grands arbres croissaient sur les toits de Sainte-Sophie.

Le congrès a fait des visites de corps à plusieurs des monumens les plus remarquables de Kief. Un jour il se transportait au monastère de Saint-Cyrille, où se sont conservées ou plutôt retrouvées de belles fresques byzantines, un autre jour au monastère de « Saint-Michel aux têtes d’or, » où les dévots viennent prier sur le tombeau de sainte Barbe, et où les archéologues admirent d’antiques bas-reliefs représentant saint George et saint Démétrius luttant contre des dragons ; mais Sainte-Sophie, la merveille de l’Ukraine, la plus vieille cathédrale de la Russie, bâtie par Jaroslaf en mémoire d’une victoire sur les Petchenègues, ne peut se visiter en un jour. Comme elle porte le nom de Sainte-Sophie de Constantinople, on a dit souvent qu’elle en était une reproduction. M. Zakrevski, dans son magnifique ouvrage publié en 1868 par la Société archéologique de Moscou, la Description de Kief, a déjà exécuté ce préjugé. Il suffit de placer l’un à côté de l’autre, comme l’a fait M. Zakrevski, le plan des deux édifices, pour voir qu’ils procèdent de conceptions tout à fait opposées. Le monument de Justinien a 96 mètres de longueur sur 77 de largeur, celui de Jaroslaf 36 mètres de long sur 53. On voit non-seulement que les proportions du premier sont plus exiguës que celles du second, mais encore que le rapport de la largeur à la longueur y est en sens inverse. Sainte-Sophie de Constantinople a 66 mètres de hauteur, sa rivale n’en a que 40 ; l’aire de celle-là est quatre fois plus étendue que l’aire de celle-ci. En outre Sainte-Sophie de Kief est si bizarrement aménagée qu’elle paraît encore plus petite que ne le comportent ses dimensions ; elle n’a aucun effet d’ensemble. La vaste et ample coupole de Justinien est remplacée ici par une douzaine de clochers à bulbe d’or ; l’aire intérieure