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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/824

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d’unifier toutes ces obligations, et de procéder ainsi à une liquidation générale. La loi du 24 août 1793 créa donc le grand-livre de la dette publique, qui ne devait contenir que des rentes perpétuelles, mais rachetables, en 5 pour 100. Les rentes intégrales susceptibles d’être inscrites dans ce grand-livre s’élevaient à 174,716,000 francs d’arrérages annuels. Pendant toute la tourmente révolutionnaire, ces intérêts étaient payés, rarement en numéraire, quelquefois en assignats, le plus souvent un quart en espèces et trois quarts en valeurs fictives dites « bons des trois quarts » et échangeables contre des biens nationaux. Aussi c’était une profession singulièrement précaire que celle de rentier, et qui parfois s’alliait à l’indigence. Sous le directoire, dans un moment de grande détresse, on s’avisa de régulariser cet état de choses ; la nation, croyait-on, pouvait se considérer comme un commerçant malheureux qui offre à ses créanciers un concordat. Au surplus on ne changeait guère leur situation en donnant un caractère définitif à des arrangemens qui étaient pratiqués depuis plusieurs années ; en vertu de la loi du 9 vendémiaire an VI, on consolida le tiers de la dette publique et l’on mobilisa les deux autres tiers, c’est-à-dire que l’on conserva sur le grand-livre le tiers des rentes dues à chaque créancier et que l’on remboursa en valeurs fictives, en bons échangeables contre des biens nationaux les deux autres tiers. Les arrérages de la dette publique, après diverses annulations de rentes reçues en paiement de biens domaniaux ou confisqués sur les émigrés et les mainmortables, ne montaient plus qu’à 40,216,000 francs. Ce n’est certes pas sans un sentiment pénible de confusion et de regret qu’on pense aujourd’hui à cette opération irrégulière ; mais alors plusieurs siècles de désordre et d’arbitraire avaient persuadé aux esprits que l’état est le souverain arbitre de la justice, et que son intérêt immédiat doit être la règle suprême de sa conduite. Aujourd’hui, par soixante années d’une loyauté qu’aucune épreuve n’a pu ébranler, nous avons réparé cette faute originelle et lointaine.

A la fin du siècle dernier, lorsque fut créé le consulat, notre dette publique était ainsi presque insignifiante. Un poids annuel de 40 millions de francs pour une nation qui comptait 25 millions d’habitans et dont le budget s’élevait à 600 ou à 700 millions, c’était un fardeau singulièrement léger. La Grande-Bretagne à la même époque, ayant une population moitié moindre, prélevait sur ses ressources, pour le service dès intérêts de sa dette, 422 millions de francs. La Hollande, expiant les fautes commises par ses gouvernans au XVIIe et au XVIIIe siècle, avait une dette triple de la nôtre. Celle de l’Autriche était assez notablement supérieure à la dette de la France.