Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/855

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle aurait le mérite de contribuer à la hausse des fonds publics et de préparer d’abord la conversion du 5 pour 100 en 4 1/2, et plus tard même celle du 4 1/2 en 4.

On dira peut-être que ces prévisions sont à bien longue échéance ; mais en matière de finances il importe d’avoir des vues étendues et un plan embrassant une série d’années. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que tous les budgets qui ont été votés depuis la guerre, y compris celui de 1875, sont des budgets de transition ; ils le sont en ce sens qu’une partie des dépenses annuelles sont pourvues par des ressources extrabudgétaires, puisées à un compte spécial, qui s’appelle le compte de liquidation. Celui-ci va expirer en 1876. Le budget de 1876 est donc à refaire sur un plan tout différent des précédens, car il faudra trouver une branche de recettes nouvelles pour faire face aux frais de reconstitution du matériel de guerre et de construction de forteresses, dépenses qui jusque-là figuraient au compte de liquidation. Les ressources des présens budgets ne suffiraient certainement pas pour payer à la fois un amortissement de 100 ou 150 millions et les dépenses de guerre auxquelles le compte de liquidation pourvoyait. Il faudra ou bien faire en une fois un emprunt considérable pour rembourser la Banque et se procurer les ressources nécessaires au rétablissement de notre état militaire, ou bien faire ce qu’ont fait les Anglais à partir de 1861 pour leurs travaux de fortifications, une série d’emprunts spéciaux et de peu d’importance. Ce dernier parti serait le plus sage : l’émission d’obligations amortissables par tirages périodiques est le mode le plus convenable pour ces opérations. En tout cas, nous souhaitons que nos grands pouvoirs publics comprennent qu’une dette de 23 milliards en capital et de plus de 1 milliard en intérêts ne peut être indéfiniment maintenue dans un pays qui ne veut pas se désintéresser pour toujours des grandes affaires et des grandes entreprises internationales. Nous ne doutons pas qu’on ne s’efforce de la réduire en maintenant dans tous nos budgets un excédant de 100 ou de 150 millions sous une forme ou sous une autre et en recourant à propos, comme on le peut déjà pour l’emprunt Morgan, au procédé légitime et efficace de la conversion. Au surplus, les ressources de la France sont grandes, sans être inépuisables : dans le troisième trimestre, le rendement de nos impôts indirects a presque atteint les prévisions budgétaires ; si l’on était un peu assuré de la stabilité politique, on verrait bientôt se produire des plus-values considérables qui permettraient simultanément la réduction ou la modification des taxes les plus gênantes pour la production et la pratique modérée, mais constante, d’un amortissement sérieux.


PAUL LEROY-BEAULIEU.