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M. le comte de Chambord donnant ses instructions à ses amis, leur dictant la conduite qu’ils ont à tenir, leur disant ce qu’ils peuvent accepter, ce qu’ils doivent repousser. Si M. le maréchal de Mac-Mahon a besoin de la dictature, il n’y a qu’à la lui donner, — hors de là on ne doit rien voter qui puisse empêcher ou ajourner la monarchie. Le maréchal passe encore : le septennat n’existe pas, et une organisation politique quelconque serait une invention révolutionnaire. M. le comte de Chambord est vraiment bien bon d’offrir la dictature à M. le maréchal de Mac-Mahon, qui ne la réclame pas, — en même temps qu’il fait un devoir à ses amis de repousser les lois constitutionnelles que M. le président de la république juge nécessaires pour le pays. Les légitimistes d’ailleurs semblent plus que jamais disposés à respecter scrupuleusement cette volonté, dont l’expression paraît avoir ému jusqu’à des royalistes modérés eux-mêmes, plus portés aux transactions que les chevau-légers. Et l’on croit que c’est tout simple qu’un parti considérable dans une assemblée française reçoive ainsi à peu près publiquement le mot d’ordre d’un prince vivant hors de la France depuis quarante-quatre ans, pesant de loin sur le parlement, ajoutant aux embarras des pouvoirs publics dans les circonstances où nous sommes ! On nous permettra de dire franchement que c’est la quintessence du désordre. Les légitimistes trouvent étrange que les radicaux obéissent à des mandats impératifs, — et que font-ils de leur côté ? Ils se plaignent de l’anarchie qui est partout, et ils sont les premiers des anarchistes, d’autant plus dangereux qu’ils se donnent pour des conservateurs. — Le roi est le roi, et il a toujours le droit de parler, dit-on assez étrangement. La monarchie est le régime traditionnel et nécessaire du pays, — hors de là point de salut ! Vous venez de voir M. de Bismarck, dans ses dépêches au comte d’Arnim, montrer lui-même à la France où est son intérêt, en disant : « Nous avons besoin que la France nous laisse en repos, et si elle ne veut pas rester en paix avec nous, nous devons empêcher qu’elle trouve des alliés. Tant qu’elle n’aura pas d’alliés, la France n’est pas à craindre pour nous, et tant que les grandes monarchies de l’Europe resteront d’accord, aucune république n’est redoutable pour elles. Or une république française trouvera difficilement comme allié contre nous un gouvernement monarchique. »

Cela se peut, les prévoyances intéressées de M. de Bismarck ont leur prix. Il est bien possible en effet qu’à certains momens, dans ces dernières années, une monarchie eût été une combinaison utile, qu’elle eût été même acceptée sans résistance, si elle s’était présentée sous la figure d’un souverain sage et prévoyant, d’un Louis XVIII, habile à ménager les instincts de la société moderne, et à ne point effrayer le pays de la perspective d’une guerre religieuse pour la restauration du pape. Cette monarchie prudente et avisée, oui, elle eût été peut-être réalisable