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très probantes contre ceux qui refusent toute existence à la science sociale, elles nous paraissent infirmer par là même cette sorte de scepticisme pratique qu’il nous enseignait tout à l’heure. S’il y a en effet en politique certaines lois générales et certaines prévisions approximatives, il y a lieu à des actions conformes à ces prévisions et qui auront le même degré d’exactitude. Au moins, par exemple, sera-t-il vrai de dire que, quand on est menacé d’une guerre, il faut s’y préparer, — qu’un gouvernement doit tenir compte de l’opinion publique et ne pas la provoquer inutilement, — qu’il faut s’instruire de ce qui se passe en pays étranger pour ne pas être pris au dépourvu, etc. Si la science sociale n’est qu’une science approximative, la politique pratique sera un art conjectural, mais une sorte d’art où la justesse du coup d’œil peut anticiper quelquefois sur les inductions scientifiques. Si au contraire on affirme, comme le fait précisément l’auteur dans son premier chapitre, que la plupart du temps il ne faut rien faire parce qu’on ne peut prévoir avec certitude les résultats bons ou funestes de ses résolutions, ne serait-ce pas comme si l’on disait que l’on ne peut rien prévoir, par conséquent qu’il n’y a pas de règles et par conséquent pas de science ?

L’auteur nous explique ensuite quelle est la nature de la science sociale, et nous avouons que les vues qu’il émet à ce sujet nous ont paru obscures, ou tout au moins prématurées. Il est très difficile d’expliquer d’avance la nature d’une science à celui qui ne la connaît pas encore, difficile surtout, s’il s’agit d’un manière très particulière et très systématique d’entendre cette science. Or M. H. Spencer entend la science sociale d’une manière qui lui est propre. Ses Principes de sociologie nous permettront sans doute de mieux comprendre l’idée qu’il s’en fait ; mais ici il eût été prudent de ne pas confondre une idée préliminaire, qui ne doit servir que d’introduction, avec les conclusions théoriques auxquelles conduira l’étude elle-même. L’idée de M. H. Spencer, empruntée par lui à Auguste Comte, est de fonder la sociologie sur la biologie : cette idée, vraie ou fausse, ne peut guère être appréciée prématurément avant tout développement. — Autrement c’est s’exposer à l’objection que M. Spencer se fait lui-même et à laquelle il répond faiblement, à savoir qu’il n’y a qu’une analogie lointaine entre un organisme individuel et un organisme social, entre la morphologie sociale et la morphologie zoologique. Pourquoi s’exposer ainsi à des objections de la part des esprits difficiles ? et pourquoi jeter prématurément des notions préconçues, sans preuves suffisantes, dans les esprits dociles et complaisans ?

Après ces considérations préliminaires, l’auteur entre dans le cœur de son sujet en étudiant successivement les difficultés de