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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/959

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Thionville invitèrent un jour tous les habitans, après avoir fait jeter dans le puits communal toute la provision de sucre d’un spéculateur malheureux qui venait de faire faillite. Napoléon plus tard fit sucrer les rivières avec les produits des colonies qui voulaient forcer le blocus continental.

Le prix du sucre monta un moment à 10 francs la livre, et les amateurs de café maudirent la politique de l’empereur. Cette disette artificielle eut pourtant un heureux résultat : elle stimula la fabrication du sucre indigène. Désormais l’extraction du sucre de betterave marche de pair avec l’importation du sucre colonial. En 1870, l’ensemble des pays d’outre-mer a livré au commerce environ 3 milliards de kilogrammes de sucre de canne ; en y ajoutant 900 millions de kilogrammes de sucre de betterave et 160 millions de kilogrammes de sucre d’érable et de palmier, on arrive à un total de plus de 4 milliards de kilogr. pour la production sucrière du monde entier. Or la population totale du globe est évaluée à 1 milliard 300 millions d’âmes ; il en résulte que, si le sucre qui se fabrique chaque année sur la terre était réparti d’une manière uniforme entre tous ses habitans, chaque homme pourrait en consommer dans l’année 3 kilogrammes. En réalité, la consommation est, cela se comprend, très inégale selon les pays. Parmi les nations civilisées, celles qui consomment le moins de sucre sont l’Espagne et la Russie, où l’on compte environ 800 grammes par an et par tête d’habitant ; en France, la ration moyenne de chaque habitant est de 5 kilogrammes, en Angleterre elle est de 15, aux États-Unis de 17 kilogrammes, dans les états de l’Amérique du Sud elle va jusqu’à 30 kilogrammes par an. Ces chiffres prouvent que la fabrication du sucre est encore loin de suffire aux besoins des nations civilisées, et qu’elle pourrait tripler sans crainte d’encombrer les marchés. Ce qui en arrête l’essor, ce sont les entraves de tout genre, droits fiscaux, impôts et taxes, qui attendent le sucre à toute barrière et qui l’écrasent sans pitié. Malgré les impôts qui frappent cette industrie, il fonctionne aujourd’hui en France plus de 400 fabriques de sucre indigène ; c’est près du tiers du nombre total des fabriques de sucre qui existent en Europe, et leur production n’est pas loin de 400 millions de kilogrammes par an. Le sucre de betterave est devenu pour la France un produit d’exportation qu’elle envoie jusqu’en Amérique, et qui mériterait entre tous d’être encouragé. — Dans le même volume des Merveilles figurent l’industrie du papier, celles des papiers peints, des cuirs et des peaux, du caoutchouc et de la gutta-percha, enfin l’art de la teinture. Depuis l’émeute populaire qui, sous le règne de l’empereur Tibère, éclatait à Rome par suite du manqué de papyrus, lorsque les arrivages d’Égypte s’étaient fait attendre, la consommation du papier a singulièrement augmenté, et a transformé la vie intellectuelle chez les peuples civilisés, — admirable invention qui donne pour ainsi dire un corps à la pensée sortie du cerveau de l’écrivain, qui la matérialise et la rend