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Sexagénaire et trop fatigué par Page et par les revers pour combattre lui-même, il envoie son fils Jean de Calabre guerroyer et conquérir pour lui son nouveau royaume. Comme en Italie, tout va bien d’abord. Après trois années de luttes, Jean de Calabre a presque assuré la conquête. C’est à ce moment même qu’une mort subite, foudroyante et sans doute criminelle vient enlever le jeune guerrier, et avec lui les espérances de sa maison ; ce que trois ans avaient gagné, quelques mois le reperdent sans ressource.

Le pauvre René vraiment portait malheur aux couronnes : vingt-cinq ans auparavant, le mariage de sa fille Marguerite d’Anjou avec Henri VI d’Angleterre avait été l’une des conditions de la paix entre les deux monarques d’Angleterre et de France. Certes René pouvait croire sa fille destinée à vivre et à mourir souveraine d’un grand pays. Cependant la guerre des deux Roses avait éclaté, et maintenant Marguerite détrônée, dépossédée, fugitive, était réduite à demander à son père, non plus même un secours pour reconquérir son royaume, mais un refuge et le pain quotidien.

De tous côtés, ce n’étaient donc qu’aventures ; René n’en avait pourtant point encore épuisé la série : Nicolas, son dernier petit-fils, auquel il avait cédé son duché de Lorraine, mourait en 1473, empoisonné sans doute, comme l’avait été Jean de Calabre. Enfin l’ingratitude du fils même de sa sœur, de son neveu le roi de France, portait au vieux roi le dernier coup. Retiré dans son comté de Provence, il apprend soudain que Louis XI, ce Louis XI qu’il a tant contribué à sauver de la ligue du bien public, a, sous un prétexte futile, légalement saisi le duché d’Anjou, et que lui-même, lui, — pair de France, prince du sang royal et deux fois roi, — il est pour crime de haute trahison, et « sous peine de bannissement du royaume, de confiscation de corps et de biens, » ajourné à comparaître devant le parlement.

Un accord, il est vrai, intervient à quelque temps de là, mais ce n’est que de nom que le malheureux prince recouvre ses possessions saisies, et lorsqu’en 1480, chargé d’années, de chagrin et de peines, il rend à Dieu son âme fatiguée de la vie, de toute sa puissance, de tant de royaumes, de duchés, de provinces, il lui reste à peine un comté, la Provence, et l’illusion de disposer nominalement après sa mort des biens qu’il n’avait plus. Avec lui meurt la maison d’Anjou : c’est à la France par bonheur, à la France renaissante et avide d’unité, que profite son héritage.

Telle est l’histoire, on peut dire le roman de la vie de René d’Anjou, encore n’en avons-nous indiqué ici que les têtes de chapitre. Combien le drame n’est-il point plus saisissant et plus digne d’intérêt lorsqu’on ne le dépouille point de son cadre, de ses épisodes, de ses comparses ! Le cadre, c’est le XVe siècle, » c’est-à-dire cette époque critique où la France, se débattant contre l’invasion étrangère, se reconquiert enfin