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quotité des présens à offrir au shogoun, en un mot tous les détails de cette orgueilleuse domesticité contre laquelle les aristocraties déchues échangent volontiers leur indépendance. Ainsi se transforma en instrument de gouvernement et en moyen de conservation cette politesse extérieure et formaliste qui dut sans doute son origine à une réaction contre la brutalité des mœurs primitives. Une ancienne loi du prince de Satzouma permettait à quiconque avait été insulté de tuer l’insulteur, mais à la condition de s’ouvrir le ventre immédiatement.

Comme il y a deux nations superposées l’une à l’autre, la noblesse et le peuple, il y a deux codes de morale et deux codes criminels, celui du samouraï et celui du vilain. Le premier enseigne le point d’honneur, la fidélité à toute épreuve au seigneur, les devoirs qu’entraîne le port du sabre, le mépris de la mort, la compassion pour les faibles. Il ne frappe le délinquant d’aucune peine, mais il le déclare déshonoré s’il a failli, et ce déshonneur ne peut être couvert que par le harakiri. Aussi tout homme d’épée doit-il apprendre de bonne heure le cérémonial de cette opération, savoir composer son attitude, s’il y joue le rôle principal, connaître les devoirs d’un bon coadjuteur, pouvoir notamment faire sauter d’un coup la tête d’un ami pour lui épargner la souffrance quand il s’est donné le coup mortel. Si le samouraï se rend coupable de quelque délit de droit commun, vol, adultère, il est dégradé, c’est-à-dire qu’il perd la prérogative de s’ouvrir le ventre, qu’il meurt supplicié et que sa pension est alors confisquée à ses héritiers. Le suicide judiciaire était en honneur comme à Rome sous les césars, c’était un acte de courage qui dispensait le juge de prononcer un jugement et qui mettait la mémoire à l’abri de la honte. Quant au roturier, on n’exige de lui que probité et subordination ; mais, comme le point d’honneur n’existe pas pour lui, c’est par la sévérité excessive des châtimens qu’il sera contenu. Ce qui caractérise la législation pénale, c’est l’arbitraire et l’inégalité des peines suivant les castes ; le droit pénal se résume à peu près ainsi : punissez tout ce qui vous semblera mauvais, autant qu’il vous paraîtra nécessaire.

On a vu quelle justice sommaire pouvaient se faire à eux-mêmes les samouraï ; l’exécution des sentences récemment encore était instantanée ; au sortir du tribunal, le condamné était décapité. Huit palefreniers d’Owari en ayant maltraité un du prince Midzuno-kami, celui-ci demanda justice, et séance tenante, devant lui, on trancha la tête des huit coupables. La procédure repose sur l’emploi de la torture ; il nous est pénible de dire qu’elle est encore journellement employée contre les accusés reconnus coupables, pour leur arracher l’aveu de leur crime. Ainsi l’exige la coutume d’après