Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/566

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ornithologiste et un conchyliologiste ; la petite troupe fut grossie de plusieurs volontaires.

Agassiz, devenu veuf des les premières années de son séjour en Amérique, avait contracté un second mariage avec une jeune fille de l’esprit le plus distingué, Mlle Lizie Cary ; compagne inséparable, elle ne se fera pas prier pour aller au Brésil. La relation du voyage a été. écrite ; c’est le fruit d’une touchante collaboration. Chaque jour, Mme Agassiz a tracé le récit des aventures et des observations sur le pays ou sur les habitans. Chaque soir, le savant a fourni la note du résultat de ses travaux, bien sûr que rien ne serait perdu de ce qui méritait d’être conservé. Ainsi se sont confondues les pages comme les impressions et les pensées de l’un et de l’autre jusqu’à rendre toute séparation impossible[1].

A peine le projet de voyage au Brésil fut-il connu du public que le professeur de Cambridge recevait du président de la compagnie des paquebots du Pacifique[2] l’offre, pour tous les membres de l’expédition, du passage à bord d’un magnifique navire qui allait se rendre en Californie en doublant le cap Horn ; c’était un hommage rendu à la science et à la personne de l’illustre naturaliste. Le départ de New-York eut lieu le 1er avril 1865 ; la mer était calme, le temps délicieux. Deux jours plus tard, on croise le gulf-stream à la hauteur du cap Hatteras. Le grand courant, qui influe d’une manière prodigieuse sur la distribution des êtres dans les profondeurs de l’Océan, sollicite singulièrement l’intérêt du naturaliste. Agassiz est attentif à suivre les fluctuations de la température. Le thermomètre accuse 14 degrés centigrades ; dès qu’on arrive dans le courant, il monte à 23 ou 24 degrés, pour descendre à certains endroits à 21 degrés ; il y a par intervalles des bandes froides[3]. Bientôt on rencontre des sargasses, les fameuses herbes flottantes que les marins nomment les raisins des tropiques. On en prend quelques touffes ; placées dans un vase, chacun s’émerveille à la vue de tout un monde qui s’agite. Là vivent en société des légions de petits mollusques, en foule de charmans polypes du groupe des hydroïdes. La faune des sargasses est encore peu connue ; ce sera un jour un curieux sujet que celui de la population de ces algues, qui croissent sur de vastes étendues bien loin des rivages.

Tandis que doucement on s’achemine vers l’Amérique du Sud, le

  1. Voyage au Brésil.
  2. M. Allen Mac-Lane, président of the Pacific Mail-Steamship Company.
  3. On sait que sous la direction du docteur Bâche une reconnaissance très complète de l’origine et du cours du gulf-stream a été faite par le Coast Survey des États-Unis.