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qu’une créance hypothécaire. Il n’a pas tort, car, si son titre n’était plus garanti par un gage matériel, il le serait encore par l’état.

Quelle est la situation des actionnaires ? Il y a deux manières de répondre à cette question : on peut comparer le chiffre des émissions primitives aux taux actuels des cours, montrer telles actions dédoublées, telles autres échangées à raison de trois anciennes pour trois nouvelles, dénoncer la bonne fortune de ceux qui ont eu de bonne heure foi dans l’avenir des chemins de fer. On oublie, en faisant ce tableau, les mécomptes, les crises, les difficultés de tout genre que les actionnaires ont rencontrées pendant tant d’années. Si leur sort avait été si digne d’envie, qu’on explique pourquoi on a été de bonne heure obligé d’offrir au capital autre chose que des actions ? Quand les conventions qui ont fixé le régime des chemins de fer ont été faites, l’état se trouvait en face de droits acquis que tout lui commandait de respecter ; il imposait aux compagnies la construction d’un grand nombre de lignes onéreuses ou au moins d’un succès hasardeux, il se réservait des avantages de tout genre, il ne pouvait pas condamner les porteurs d’actions à voir se fondre dans leurs mains une valeur qui, abandonnée à elle-même, ne pouvait aller qu’en croissant[1].

Quels étaient les avantages que l’état se donnait à lui-même en contractant les nouveaux traités ? On va en apprécier l’importance. M. Caillaux, ministre des travaux publics, évaluait, dans un discours prononcé le 17 juillet 1874 devant l’assemblée nationale, à 127 millions le montant des impôts perçus à l’occasion des chemins de fer, et à 56 millions le montant des économies réalisées, en vertu des clauses du cahier des charges, par les grands services publics, par les transports gratuits et réduits (postes, télégraphes, prisons, guerre, marine). Ce total de 183 millions annuels n’est pas en sa totalité un don des chemins de fer à l’état, car, pour ce qui est de certains impôts, les administrations des chemins de fer ne sont que des intermédiaires entre le trésor et le public. Il n’en est pas moins vrai que les chemins de fer, outre l’économie directe qu’ils procurent à l’état, contribuent encore puissamment à augmenter ses recettes.

Quelle est en revanche l’étendue des sacrifices que l’état s’impose pour les chemins de fer ? A mesure que les réseaux

  1. Le dividende des actions de Paris-Lyon-Méditerranée était en 1859 de 63,50 ; il était en 1865 de 60 francs, en 1873 de 60 francs également. Croit-on que ce dividende n’eût pas augmenté en quatorze ans, si le nouveau réseau n’eût drainé incessamment l’ancien ? De 1865 à 1874, le déversoir sur cette ligne a versé du second au premier 117 millions. De 1864 à 1872, le total des sommes déversées dans les six compagnies s’est élevé à 252,232,280 francs.