Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/819

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’intérêts privés, disait-il, de l’échange d’une terre qu’il possédait en Flandre. Savez-vous ce qu’il allait faire dans le camp ennemi ? Il allait porter à l’agent de Charles-Quint les premières propositions du connétable. Ah ! ne vantons pas trop ces vieux âges et ne soyons pas toujours si prompts à désespérer de notre temps. Honneur, foi, patriotisme, ces choses n’appartiennent exclusivement à aucune époque du passé ; chaque siècle a ses misères et ses hontes.

On sait les événemens qui suivent les impatiences du connétable pressant Charles-Quint et Henry VIII d’entrer immédiatement en campagne, les préparatifs qui se font de tous côtés, la France envahie au nord-ouest par les Anglais, à l’est par les Allemands, au sud par les Espagnols, Paris s’apprêtant à un siège, les échevins ordonnant de creuser des tranchées, de tendre les chaînes de fer, de remparer les faubourgs de Saint-Honoré et de Saint-Denis, qui, situés sur la rive droite, devaient être exposés les premiers à l’attaque des Anglais ; puis, ce grand péril se dissipant plus vite qu’on ne pouvait l’espérer, grâce aux appréhensions d’Henry VIII et aux lenteurs de Charles-Quint ; enfin la triple invasion forcée de rebrousser chemin, l’armée anglaise rentrant dans Calais, l’armée espagnole repassant les Pyrénées.

Au milieu de ces émotions violentes se produisent des épisodes singuliers que M. Mignet a retracés de main de maître, par exemple la mort du pape Adrien VI et l’élection de Clément VII. Malgré ses relations personnelles avec Charles-Quint son élève, le grave et scrupuleux Adrien VI avait résisté longtemps à toute entreprise de guerre contre le roi très chrétien ; il s’y décida en 1523 après les plus cruelles irrésolutions. Les scrupules qui le tourmentèrent ne furent pas étrangers à la maladie qui l’emporta ; il mourut après s’être engagé dans une politique contraire à tous les sentimens de sa vie. « Il avait vécu, dit M. Mignet, comme un pauvre religieux dans le Vatican désert… Circonspect jusqu’à la plus pénible indécision, défiant sans être avisé, timide et faible, il avait porté une simplicité extrême, une piété profonde, une incapacité troublée au milieu de ces astucieux politiques italiens, accoutumés à ne se diriger que par la vue de l’intérêt particulier ou des maximes d’état. » Jules de Médicis, qui lui succéda sous le nom de Clément VII, était précisément un de ces tacticiens consommés, ainsi que le prouve sa stratégie dans le conclave. Le tableau si mesuré qu’en a tracé M. Mignet est un chef-d’œuvre de pénétration ; il y a plaisir à voir ces finesses italiennes exposées avec un demi-sourire par la raison française.

Cependant l’action se précipite. L’invasion qui vient d’échouer en 1523 recommence en 1524. Le connétable, franchissant les