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leurs prisonniers ; ils craignaient des sortilèges qui auraient dérobé à leur vue et soustrait à leur garde les précieux otages dont ils répondaient. Pour la même raison, Bordin, ayant voulu mesurer la taille du dauphin, car le dauphin avait beaucoup grandi, et le bon messager désirait porter cette mesure au roi de France, le connétable de Castille, en homme difficile à tromper, devina là une pratique de sorcellerie et la déjoua par ses refus.

Nous sourions de ces sottises ; n’est-on pas tenté aussi d’en pleurer ? Pendant dix mois encore, le dauphin et le duc d’Orléans vont demeurer dans ces cachots lugubres, sous la main de ces gardiens stupides. D’après le traité qui se négociait longuement à Cambrai, Charles-Quint, renonçant à la Bourgogne, exigeait de François Ier l’abandon complet de l’Italie et une somme de 1,200,000 écus d’or pour la rançon des enfans. La somme n’était pas prête ; pour la trouver, il fallut faire appel au pays. Le peuple, la bourgeoisie, les bonnes villes donnèrent à mains ouvertes. Qu’on se figure, en pleine foi monarchique, et quand la loyauté de l’ennemi pouvait être si suspecte, l’angoisse perpétuelle de cette pensée : les enfans de France enfermés dans une prison d’Espagne ! C’était un poids insupportable pour la conscience publique. La noblesse seule, cela est triste à dire, refusait obstinément de contribuer à la délivrance des princes, craignant de compromettre le droit féodal qui l’exemptait des impôts. Le roi fut obligé de rassembler les feudataires de l’Ile-de-France et de leur dire en termes précis qu’il ne s’agissait pas de faire les gentilshommes taillables ; il leur demandait tels dons et présens qui fussent la mesure de leur affection. L’exemple une fois donné par les feudataires de l’Ile-de-France, les autres provinces suivirent. Nobles et seigneurs rejoignirent le peuple en ce patriotique élan, et le mouvement fut unanime. Aussi quel soulagement, quelle effusion, quelle joie, quand on apprit enfin que la sœur de l’empereur, Éléonore d’Autriche, fiancée au roi de France par suite du traité de Cambrai, est chargée de lui ramener les enfans ! Certes il était bien dur, ce traité de Cambrai, et notre histoire n’en parle qu’avec douleur ; le sentiment public n’y vit alors qu’une chose, le retour des enfans. Les enfans, c’est le nom qu’on leur donne sans les désigner d’une autre manière. Ici, j’ajoute un trait aux pages si complètes de l’historien ; cherchant parmi les écrivains du temps un témoignage de ces émotions nationales, j’ouvre les poésies de Clément Marot, et j’y trouve le Chant de joie au retour d’Espagne de messeigneurs les enfans. Le gentil Marot exprime bien la pensée de tous lorsqu’il dit que cette délivrance n’est pas seulement celle des enfans, c’est la délivrance du roi et du peuple de France prisonniers aussi avec les jeunes princes.