et fatiguée par l’excès des jouissances de la vie. Il est naturel qu’il n’ait pas produit d’abord les mêmes effets que s’il eût rencontré des âmes entièrement fraîches et jeunes. Les œuvres qu’il inspire, même dans les classes populaires, semblent avoir deux âges. Elles sont un mélange surprenant de neuf et de vieux, de grossièreté et de grâce, de rhétorique et de vérité, de poésie charmante et de banalités misérables. Dans les évangiles apocryphes, les miracles attribués à l’Enfant-Dieu sont quelquefois d’une puérilité ridicule. Il fabrique des oiseaux avec de la boue, et, comme on lui reproche d’y avoir travaillé un jour de sabbat, « il frappe des mains, et les oiseaux s’envolent en gazouillant. » A son ordre, des poissons qui cuisaient déjà dans la poêle redeviennent vivans et sautent dans l’eau. On y fait du Christ tantôt un écolier pédant qui embarrasse son maître, tantôt un enfant acariâtre et cruel qui tourmente ses camarades. L’un d’eux l’ayant heurté par mégarde en passant, il lui dit : « Tu n’achèveras pas ton chemin, » et aussitôt l’enfant tombe et meurt. Un autre s’étant permis de détruire avec une branche de saule les petites rigoles par lesquelles ils s’amusait à faire couler de l’eau, il frappe son corps de sécheresse. Tout le monde le redoute et le déteste. Les parens des malheureuses victimes viennent trouver Joseph et lui disent : « Tu as un fils qui ne peut habiter le même pays que nous. Apprends-lui à bénir et non à maudire, car il fait périr nos enfans. » Est-ce là le Jésus des évangiles canoniques ? Ceux qui ont imaginé ces récits étranges, esprits grossiers et cœurs étroits, croyaient qu’un Dieu ne se manifeste que par des miracles ; ils étaient si préoccupés de le montrer puissant, qu’ils oubliaient de le faire bon.
A côté de ces passages vulgaires ou choquans, on trouve des légendes gracieuses qui suffisent à expliquer la popularité des évangiles apocryphes. Je n’insisterai que sur celles dont a profité plus tard la poésie chrétienne. C’est de là par exemple que viennent la plupart des récits que le moyen âge a répétés sur la sainte Vierge. Les évangiles canoniques parlent très peu d’elle ; ils ne nous apprennent rien de sa famille et de ses premières années. Les apocryphes se sont chargés de combler cette lacune. C’est par eux seuls que nous savons le nom de ses parens et les merveilles qui ont précédé sa naissance. Ils nous racontent qu’Anne, sa mère, qui se désolait de n’avoir pas d’enfant, vint un jour s’asseoir sous un laurier dans son jardin, et qu’ayant vu sur l’arbre le nid d’un moineau, elle disait : « Hélas ! à qui suis-je semblable ? Puis-je être comparée aux oiseaux du ciel ? mais les oiseaux sont féconds devant vous, Seigneur. Puis-je être comparée aux animaux de la terre ? mais ils ont des petits. Je ne suis semblable ni à la mer, car elle