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Quelquefois un israélite se voyait déférer par son adversaire le serment décisoire. Le serment, par lequel on prend à témoin la Divinité, est un acte d’essence religieuse, par conséquent de statut personnel au premier chef. Selon le rite mosaïque, il se prête solennellement à la synagogue sur les livres saints, entre les mains d’un ministre de la religion. On ne l’accepte généralement qu’avec une répugnance extrême, parce que, d’après un préjugé populaire, celui qui a juré doit mourir dans l’année. Lorsqu’il devait avoir lieu, il fallait nécessairement qu’un magistrat français, seul compétent pour dresser procès-verbal, y assistât. Or la plupart des rabbins interdisaient, sous peine de malédiction et d’anathème, de s’y soumettre, parce que c’était à leurs yeux un sacrilège d’invoquer le nom de Dieu par l’ordre des profanes et en leur présence, qui souillait le sanctuaire. A la vérité, des casuistes plus accommodans, considérant qu’il fallait obéir aux autorités quand elles n’ordonnaient pas une transgression de la loi, et qu’une prestation de serment ne violait aucune loi, puisqu’il était en définitive permis aux israélites de jurer, affranchissaient leurs coreligionnaires de ces scrupules ; mais dans cette divergence d’opinions, si certains tribunaux admettaient sans hésiter le serment more judaico sur la demande de toutes parties ou même d’une seule, d’autres s’y refusaient toujours dans ce dernier cas et quelquefois dans le premier. Nos juges proposaient parfois notre serment judiciaire, et jamais celui qui avait à jurer ne rejetait cette transaction ; mais le serment est un acte illusoire, pis encore, une comédie sacrilège, si celui qui le profère ne se considère pas comme engagé par là, et les israélites ne se croyaient point liés par la teneur du nôtre, la sainteté du serment ne découlant, selon leurs idées formalistes, que du caractère sacerdotal de l’autorité qui le reçoit et du caractère sacré des Écritures sur lesquelles on étend la main en jurant.

La nécessité pour les israélites d’être ramenés sous une législation uniforme avait frappé dès longtemps ceux qui tenaient la tête de la communauté et en représentaient l’intelligence et les aspirations élevées. Leur propagande n’avait pas triomphé sans de grands efforts des préjugés de race et de religion. Il n’existait pas chez les Juifs, comme chez les Arabes, de castes politiques menacées par l’avènement d’un nouvel ordre de choses ; mais les traits saillans de la famille sémitique, dont les deux races procèdent, persistent chez l’une et chez l’autre. Les classes inférieures justifient surtout cette remarque, comme si c’était le privilège des masses populaires de recevoir plus profondément et de garder avec plus de fidélité l’empreinte native. L’inflexibilité religieuse, l’étroitesse intolérante, la haineuse défiance des idées étrangères, sont pareilles