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reconnaissances : il s’agissait d’ordinaire d’une jeune fille perdue dans quelque grande foule ou enlevée par des pirates, qui, après avoir été achetée comme esclave, est reconnue au dernier acte et rendue à ses parens. C’est aussi par une série de reconnaissances que s’achève le roman des Clémentines[1]. Le jeune Clément, qui est le héros de l’ouvrage, et que le sort a séparé de tous les siens, retrouve successivement, et par des hasards fort imprévus, sa mère, ses frères, enfin son père. Cette dernière aventure, par laquelle l’œuvre se termine, a même une teinte de comique assez prononcée. Faustus, le père de Clément, qu’on croit mort depuis longues années, est devenu le disciple fidèle de Simon le Magicien. Après avoir eu longtemps en lui la plus aveugle confiance, il commence à s’apercevoir qu’il a été dupe d’un charlatan et se prépare à l’abandonner. Simon, qui s’en doute, le prévient et le quitte, mais en le quittant il veut s’en venger. Il change ses traits pendant son sommeil, et lui laisse sa propre figure. Le malheureux Faustus, que l’on prend pour Simon, est poursuivi des injures et des menaces de tous ceux que le faux prophète a trompés. Désespéré, il va trouver saint Pierre et implore son secours. L’apôtre l’accueille bien, mais, avant de lui rendre son visage, il veut tourner les impostures de Simon contre lui-même et en faire profiter la vérité. Il envoie donc Faustus à Antioche, où le faux prophète a beaucoup de partisans ; il lui ordonne d’y parler à la foule sous les traits du Magicien, et d’y faire un aveu complet de ses mensonges. C’est seulement quand le peuple, convaincu que Simon s’accuse lui-même et reconnaît ses crimes, s’est converti à la doctrine du Christ, que saint Pierre rend à Faustus sa figure véritable.

Ce récit est, comme on le voit, assez piquant ; il y a aussi beaucoup de finesse et une sorte de grâce touchante dans la manière dont Clément retrouve sa mère. Cependant il faut chercher ailleurs l’intérêt des Clémentines : le roman n’y est qu’un prétexte et qu’un cadre, il sert uniquement à amener des expositions de doctrine et des discussions de théologie, pour lesquelles l’ouvrage a été composé. On nous représente au début le jeune Clément saisi, au milieu des distractions du monde, d’une vague inquiétude. La pensée de la mort le tourmente, il voudrait savoir avec certitude ce qui l’attend au-delà de la vie. « Que serai-je après avoir vécu, se dit-il ? quelque chose ou rien ? un atome, un néant, sans mémoire de ma vie passée, et perdu dans l’oubli où le temps ensevelit toutes choses ? ou bien existerai-je sans exister, sans connaître ceux qui existent, sans être connu d’eux, comme j’étais avant d’être né ? .. Telles étaient

  1. Le texte latin des Clémentines en a tiré le nom qu’il porte : il s’appelle Recognitiones.