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ses conventions internationales, sa diplomatie, ses archives à elle, vaste chaos dont deux ou trois hommes sont à peu près seuls à posséder la clé. Quatre pays rivaux, l’Angleterre, la Belgique, la Hollande et la France, ont fait en 1864 ce rare projet de détruire entre eux toute cause de noise et d’inégalité, d’abaisser les barrières de douane, de renoncer aux primes, et de réunir en quelque sorte leurs territoires en un seul grand marché pour la fabrication du sucre : ils se réservaient seulement le droit d’asseoir à leur gré l’impôt intérieur ; mais l’esprit de discorde est rentré par cette porte, et l’impôt est encore si difficile à combiner que personne, ou peu s’en faut, n’a tenu ses engagemens. Cette industrie, qui a de beaux débouchés en Europe, est-elle un instrument pour notre commerce lointain ? Tant de peuples ne font point entrer le sucre dans leur consommation, ou se contentent de poudres grossières qui nous donneraient des nausées ! Les raffineurs n’étendent guère la main au-delà des mers que pour choisir les plus belles qualités de sucre colonial. C’est à Paris que le sucre fait les plus grands seigneurs. Nantes, antique entrepôt de produits exotiques, a longtemps tenu la tête ; aujourd’hui cette ville, bien que dépassée, se défend avec une remarquable ténacité. Entourée de régions agricoles, mal servie par un fleuve inégal, menacée à la fois par Bordeaux et Le Havre, jalouse de Saint-Nazaire, mais soutenue par un immense marché d’approvisionnement, il reste à son commerce un air de grandeur et le fonds très solide de la raffinerie.

Si vous voulez transformer un sauvage, habillez-le ; c’est par le vêtement que la civilisation se communique d’abord. Entre la nourriture trop simple et les arts mécaniques, trop compliqués, les tissus se trouvent précisément au point qu’il faut pour séduire les appétits des peuples primitifs. D’ailleurs nulle fabrication n’offre plus de souplesse et de variété, de sorte qu’il est facile de s’accommoder aux besoins, au climat, aux mœurs des cliens les plus bizarres. C’est ainsi que l’Europe, et surtout l’Angleterre, habille une grande partie du monde. Les fabricans, nos voisins, ne se lassent pas de filer, tordre et tisser, depuis le chaud vêtement de l’habitant du nord jusqu’aux légères cotonnades des tropiques. Peu leur importe de reproduire à l’infini le même dessin : sous la zone torride, on n’a point de ces délicatesses. Les tisseurs anglais considèrent leur clientèle comme un bétail ; ils vont jusqu’au bout de leur rouleau, chargent les navires, consignent en attendant la chance, et continuent de vêtir l’humanité bon gré mal gré. Nos fabricans, hélas ! ne sont point si imperturbables. Ils ont le malheur d’avoir du goût, beaucoup de nonchalance et peu de penchant à travailler pour les troupeaux d’hommes. Rouen a presque abandonné la fabrication des guinées qu’elle envoyait jadis en Afrique et dans