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l’humanitarisme, mais qu’il trouve des gens pour le croire, le suivre et le seconder. La société humanitaire ne se borne même pas à ses conférences hebdomadaires « précédées et suivies de musiques, » comme disent les annonces ; mais chaque dimanche elle envoie encore de vrais missionnaires prêcher ses doctrines sous l’arche du Midland railway et au pont de Chelsea. Jusqu’ici, à vrai dire, — sauf pour le mariage des adeptes, — cette prédication a constitué l’unique manifestation de sa foi ; mais nul doute qu’à l’instar du comtisme elle ne développe son rituel à mesure que le besoin s’en fera sentir. On ne peut nier que nous n’assistions là au véritable enfantement d’une religion nouvelle. Si elle ne succombe pas dans cette période embryonnaire qu’on pourrait appeler sa phase métaphysique, on peut même prévoir, d’après sa tendance à dogmatiser, qu’elle ne tardera pas à se transformer en un culte positif, avec un cortège obligatoire de pratiques spontanées ou réfléchies, sinon avec toute une théologie basée sur quelque prétendue révélation. En attendant toutefois, l’humanitarisme constitue une doctrine assez inoffensive, parfaitement morale dans ses préceptes comme dans ses conséquences, et complètement renfermée dans cette sphère suprasensible où toutes les spéculations religieuses sont permises, en tant qu’elles sont de bonne foi, par cela même que les procédés de la méthode scientifique ne sauraient en démontrer ni la rectitude, ni la fausseté. C’est pourquoi nous n’avons pas hésité à le comprendre parmi les écoles religieuses de la métropole britannique qui, sans avoir leur place et leur rôle dans l’émancipation graduée de la pensée religieuse, méritent cependant le titre de rationalistes, en ce sens que, dans le domaine du raisonnement, elles respectent l’autorité de la raison.


C’est presque uniquement comme distraction que j’avais commencé cette course à travers certaines églises de Londres. Sans doute je me heurtai, chemin faisant, à plus d’une inconséquence, à plus d’une excentricité ; mais le sourire qui pouvait me rester aux lèvres s’effaça bien vite sous une impression générale de respect et de sympathie pour les efforts des esprits sérieux et sincères qui ont entrepris de concilier la liberté intellectuelle et le sentiment religieux, ces deux élémens nécessaires de toute civilisation harmonique. Je leur dois notamment d’avoir compris pour la première fois toute la portée de la grande réforme, qui, inaugurée par Luther, est encore inachevée aujourd’hui. L’impossibilité d’enfermer dans des bornes dogmatiques une croyance religieuse qui a pour fondement une protestation contre l’autorité du dogme, — l’extrême flexibilité de ce christianisme protestant, qui va du sacerdotalisme ritualiste au théisme des unitaires avancés, — la difficulté de tracer