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Pourtant l’idée du crime réveille sa conscience engourdie, et l’amour devient terreur :

Chaque mot sur mon front fait dresser mes cheveux,


et de la terreur passe au désespoir :

Misérable ! et je vis !


Cependant même alors l’amour fait encore sentir son aiguillon, et semble plus touché de son insuccès que de sa faute. Dans la terreur du remords domine le regret :

Hélas ! du crime affreux dont la honte me suit,
Jamais mon triste cœur n’a recueilli le fruit !


Mais cet oubli ne dure qu’un instant : sur une insinuation d’Œnone, le remords renaît et se tourne en colère et en indignation :

Ainsi donc jusqu’au bout tu veux m’empoisonner,
Malheureuse !…

Enfin la passion, après avoir traversé toutes les formes et épuisé toutes les phases, n’a plus qu’une issue, terminaison ordinaire de tous les conflits tragiques, mais ici commandée par la nature même des choses : le suicide. L’impuissance de vivre, la lassitude de l’être, tel est le dernier mot d’un amour sans espoir et sans consolations possibles. En d’autres temps, un tel amour eût pu trouver une dernière phase dans un amour d’un autre ordre et dans les abîmes de la pénitence ; mais Phèdre ne peut rien connaître de semblable. La nature ne lui permet que deux consolations : avouer et mourir.

Les observations développées dans ces pages ne sont que l’esquisse d’une méthode qui, je crois, pourrait être appliquée avec fruit à l’étude de la littérature. A défaut de lois inconnues, on y trouverait au moins de beaux exemples, vivans et concrets, à la place des exemples vagues ou insignifians qui remplissent nos traités de psychologie. Corneille, étudié à ce point de vue, serait aussi instructif que Racine. Dans celui-ci, la passion domine trop, et l’empire sur soi-même, la victoire morale y est trop rare : Titus, Monime, en sont à peu près les seuls exemples. Combien cet empire sur soi-même est-il plus grand et plus sublime dans Rodrigue, dans Chimène, dans le vieil Horace, dans Auguste, dans Polyeucte, dans Pauline, dans Nicomède, dans Cornélie, dans Sertorius ! C’est là une autre face de la psychologie qui mériterait d’être étudiée et qui fournirait pour la lutte morale d’aussi beaux exemples que Racine pour