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II

La Champagne, sous l’ancienne monarchie, était un pays d’élection, autrement dit elle était gouvernée par un intendant ; les élus n’avaient d’autre mission que de répartir les contributions, ils n’en fixaient pas la quotité, à l’inverse de ce qui se faisait dans les pays d’état, le Languedoc, la Bourgogne, où des assemblées des trois ordres votaient chaque année le chiffre des impôts. Un édit de juin 1787 avait établi dans toute la France des assemblées provinciales, réforme tardive, incomplète au surplus, qui cinquante ans plus tôt, accomplie avec moins de réserve, eût prévenu peut-être les excès de la révolution. Les membres de l’assemblée provinciale de Champagne étaient au nombre de 48, dont 24 pour le tiers-état et 12 pour chacun des autres ordres : le roi en nommait la moitié, et ceux-ci choisissaient le restant de leurs collègues ; ils élisaient en outre moitié des membres des assemblées d’élection appelées à se compléter de la même façon. Si les philosophes du XVIIIe siècle avaient beaucoup disserté sur les droits du peuple, il est une question pratique qui leur avait échappé, à savoir le partage des attributions entre les représentans du pays et le pouvoir exécutif à ses divers degrés, question épineuse à tel point que l’on ne peut dire qu’elle soit encore résolue. Chaque assemblée de province ou d’élection choisissait une délégation de 4 membres avec 2 procureurs-syndics qui, sous le nom de bureau intermédiaire, devait concourir aux actes de l’administration avec l’intendant ou son subdélégué pendant l’intervalle des sessions. C’était ici qu’était le péril, on le comprend. Au lieu d’un tuteur, les communes se trouvaient en avoir deux et ne savaient auquel obéir. Le mal n’était pas grand après tout parce que les assemblées, recrutées uniquement dans les classes privilégiées, ne représentaient guère que le roi, qui les avait nommées ; elles avaient plus de maturité que d’initiative. Quelques-unes cependant se trouvaient, par le hasard des choix, animées d’instincts libéraux. Ainsi celle de Bar-sur-Aube avait dans son sein un jeune officier enthousiaste, le comte de Dampierre, qui, rallié aux idées nouvelles, périt quelques années après en combattant pour la république, un curé Raverat, que l’on revit plus tard, prêtre constitutionnel, siéger longtemps au directoire du département. Elle avait pour syndic Beugnot, qui fut depuis comte de l’empire et ministre de la restauration, et qui, grâce à un esprit souple et réservé, était destiné à faire son chemin par les laborieux travaux de l’administration plutôt que par la faveur publique. A Troyes au contraire l’assemblée d’élection et le bureau intermédiaire sont composés de gens timorés qui s’effacent dès les premiers troubles. Au jour de