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auxquelles les intérêts de l’état se trouvaient subordonnés et presque toujours sacrifiés. Les derniers événemens ont changé l’état des esprits et notablement contribué à l’éducation politique du peuple grec. On a vu des partis jusque-là hostiles se grouper contre une tentative qui les compromettait tous également, et l’on a compris qu’au-dessus des questions de personnes il y a des doctrines générales et des systèmes d’où dépend la vie ou la mort des peuples libres. Durant les longs mois qu’a duré le ministère Bulgaris, nous avons vu le langage de la presse entièrement métamorphosé : au lieu de remplir leurs colonnes de louanges ou de reproches à l’adresse des chefs de parti, les journaux traitaient les questions relatives à la forme du gouvernement, à la constitution du pouvoir, aux privilèges du monarque. Comme la presse jouit en Grèce d’une liberté absolue, on discuta même l’utilité qu’il y avait pour le pays à garder un roi et celle qu’il pourrait trouver à se mettre en république. Plusieurs concluaient que ce dernier parti était le meilleur, que la démocratie pure et simple était moins coûteuse que la monarchie ; ils donnaient comme preuve de leur opinion l’exemple de la Grèce antique, qui a produit tant de chefs-d’œuvre tant qu’elle s’est régie elle-même, et qui est tombée en décadence dès que le système monarchique a prévalu chez elle.

On peut donc dire que la tentative absolutiste de cette année, qui pendant plusieurs mois a tenu la Grèce dans la terreur, lui a servi à éclairer son chemin et lui a préparé de meilleurs gouvernemens. En même temps, elle a fait sentir aux populations récemment annexées et à celles qui pourront l’être dans la suite que leur adjonction ne doit pas détourner la nation hellénique du but qu’elle poursuit, c’est-à-dire de l’indépendance de la race entière et du self-government. La Grèce sent très bien aujourd’hui que ces deux choses sont pour elle indissolublement unies : à quoi servirait que nous eussions arraché la Grèce au joug des Ottomans et créé un état indépendant au milieu de la Méditerranée, si cet état devait par sa faute retomber dans une monarchie absolue plus insupportable peut-être que le joug des Ottomans ? La Grèce n’a de raison d’être que si elle réalise dans son sein la liberté, qui la conduira à la prospérité matérielle et au développement scientifique dont elle est capable. C’est aussi à cette condition qu’elle peut continuer d’attirer vers elle, comme vers leur centre, les autres membres du corps hellénique que la diplomatie en tient encore séparés. Les plus mauvais conseils que l’on pût donner à la nation grecque sont ceux que durant cette crise la presse allemande lui prodiguait et que des Allemands sont venus apporter jusque dans le palais du roi. Pendant que toute la presse européenne désapprouvait la tentative