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toujours d’elles-mêmes en termes magnifiques. Elles réclament et obtiennent des privilèges de tout genre. Celui qui outrage un de leurs membres commet un sacrilège. Les guerres civiles même les respectent, et ils traversent les armées qui vont se battre sans courir aucun danger. Ces associations résidaient dans quelques grandes villes, comme Athènes, Thèbes, Téos, Alexandrie, etc. De là elles envoyaient leurs artistes partout où l’on voulait célébrer quelques fêtes, mais d’ordinaire, pour obtenir leur concours, il fallait beaucoup leur promettre et les prier. Les habitans d’Iasos ayant demandé à la société des artistes de Bacchus résidant à Téos de leur donner tous les ans, pour leurs Dionysiaques, deux joueurs de flûte, deux comédiens, deux tragédiens et un joueur de cithare, la société répondit par un décret qui a été conservé. Elle y déclare en termes solennels qu’elle veut bien accorder aux habitans d’Iasos ce qu’ils sollicitent « parce qu’ils se sont toujours bien conduits envers elle, qu’ils ont respecté ses privilèges et honoré ses envoyés. » On dirait vraiment que c’est un bienfait qu’elle accorde et non pas un marché qu’elle conclut.

Cette importance que s’attribuent alors les comédiens, ces marques de respect dont on les comble, amènent M. Foucart à toucher un point curieux. Il rappelle que, s’ils paraissent fort honorés de la foule, ils ne sont pas aussi bien traités des sages. On se plaint souvent de leur conduite, on recommande aux jeunes gens de fuir leur société ; on admet sans contestation qu’ils sont en général fastueux, légers, prodigues, débauchés, et c’est une question parmi les moralistes de savoir pourquoi ils valent moins que les autres hommes. Cette question a été souvent posée depuis cette époque, et l’une des façons ordinaires de la résoudre aujourd’hui, c’est de prétendre qu’ils ont été moins honorables parce qu’ils étaient peu honorés. On rend l’injustice de la société coupable de leurs fautes, et l’on soutient qu’ils sont devenus quelquefois dignes de mépris pour avoir été méprisés à tort. Il est clair que cette raison, au moins pour l’antiquité, n’est pas juste, puisqu’on voit qu’en Grèce, où ils étaient si respectés, leur conduite donnait lieu aux mêmes reproches. Il faut donc avoir recours à d’autres explications, et l’on a le choix entre l’opinion d’Aristote qui croit que leurs défauts viennent de ce qu’ils n’ont pas eu le temps d’étudier la philosophie, ou celle de Platon qui en accuse leur profession même et qui prétend qu’elle leur enseigne les vices par l’habitude qu’elle leur donne de les imiter. C’est l’opinion que Rousseau a soutenue dans sa Lettre à d’Alembert.

L’autre mémoire de M. Foucart traite des associations connues sous. le nom de thiases, d’éranes et d’orgéons. C’étaient des sociétés religieuses, et M. Foucart établit qu’elles ont été toujours instituées pour propager le culte de divinités nouvelles. C’est grâce à elles que tous les dieux de l’Orient sont entrés dans les cités grecques, malgré les lois formelles qui les en écartaient. M. Foucart a été entraîné par son sujet