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l’accepter avec une sorte de gaîté de cœur, — car s’il faut se résigner, il ne faut pas être suspect de se résigner trop facilement, il faut prouver qu’on avait d’insurmontables répugnances, et que cependant on les a surmontées par un effort de vertu.

Cette politique est sans contredit un peu compliquée, et à la pratique elle essuie plus d’une difficulté. Aussi comprend-on sans peine que les adversaires de M. Buffet et même ses amis le mettent souvent en demeure de s’expliquer. Il s’explique, on le comprend, et bientôt on ne le comprend plus ; on lui représente que ses éclaircissemens n’étaient pas suffisamment clairs, on lui en demande de nouveaux, et voilà l’inconvénient d’avoir dans sa conduite quelque chose qui a besoin d’explication. Dans le fond, les sentimens de M. Buffet sont partagés par beaucoup d’hommes qui, eux aussi, ont accepté la république à contre-cœur ou n’ont fait avec elle qu’un mariage de raison. Il y a de bons mariages, disait le moraliste, il n’y en a point de délicieux ; mais le premier devoir d’un ministre comme d’un mari mécontent est de faire à mauvais jeu bonne mine. M. Buffet fait grise mine à mauvais jeu, il n’essaie pas de dissimuler sa mélancolie, de déguiser ses chagrins sous un visage riant. Il y a quelques années, le premier ministre d’un petit état de l’Allemagne du sud nous disait : « Les Allemands du sud qui désirent d’être annexés à la confédération du nord sont des gens qui souhaitent un rhumatisme, parce qu’ils ne savent pas ce que c’est. Toutefois, quand je l’aurai, le rhumatisme, je me donnerai l’air de le trouver charmant, car il convient à un homme d’état d’avoir la politique gaie. » Ce qui manque surtout à M. Buffet, c’est la gaîté, et s’il n’est pas gai, c’est qu’il a des dogmes et que ses dogmes sont tristes.

Tout récemment M. Buffet s’est expliqué une fois de plus à Dompaire, devant le comité agricole de l’arrondissement de Mirecourt. Il a déclaré que ses collègues et lui s’étaient loyalement placés sur le terrain des lois constitutionnelles votées par l’assemblée nationale, « et auxquelles sont dus le respect et l’obéissance de tous. » — « Nous avons pensé, a-t-il ajouté, que notre premier devoir était de faire cesser dès le premier jour la plus dangereuse des équivoques, en témoignant par nos déclarations et par nos actes que le vote de ces lois n’impliquait dans aucune mesure l’abandon d’une politique nettement conservatrice, ni même l’adoption d’une politique qui, sans être encore la politique révolutionnaire, fraierait la voie à celle-ci et lui servirait de préparation et de transition. Servir de transition entre ce que l’on considère comme le bien et ce que l’on tient pour le mal, c’est le plus déplorable des rôles, c’est aussi le plus funeste. »

Voilà un langage qui ne manque ni de sincérité, ni de noblesse, ni même d’élévation. Est-ce un langage politique ? Il est permis d’en douter : la distinction absolue du bien et du mal est du domaine de la