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ils sont vainqueurs tous les deux, car, si Octavius a triomphé de Cæcilius, Cæcilius à son tour a triomphé de l’erreur.

Dans ce petit livre, qui a dû passer par tant de mains, l’exposition de la foi nouvelle est faite avec beaucoup d’art. On sent que Minucius a toujours devant les yeux le public lettré auquel il s’adresse. Il tient avant tout à lui plaire. Il a grand soin d’éviter non-seulement ce qui peut le choquer, mais ce qui risque de le surprendre. Jamais il ne cite les livres sacrés, il glisse sur les dogmes qui ne sont propres qu’au christianisme, tandis qu’au contraire il insiste sur les croyances qui lui sont communes avec d’autres doctrines. Il développe avec complaisance ces grandes idées de la Providence, de la fraternité universelle, de la vie future, de l’unité de Dieu, sur lesquelles les sages de toutes les écoles étaient alors bien près de s’entendre ; on dirait qu’il cherche une sorte de terrain commun où pourront se réunir tous les gens sensés. Volontiers il réduirait le christianisme à n’être qu’une morale plus parfaite : « Chez nous, dit-il, c’est le plus juste qui passe pour le plus religieux. » Il dirige bien encore quelques attaques contre la philosophie, il raille en passant Socrate, qu’il nomme « le bouffon d’Athènes. » Il rappelle que ceux qui prêchent la vertu ne sont pas toujours exacts à la pratiquer, et que, lorsqu’ils tonnent contre les vices, ils ont l’air d’exercer leur éloquence contre eux-mêmes, adversus vitia sua facundos. Ce sont là des reproches si répétés qu’ils sont, devenus inoffensifs et qu’on ne les redit plus sans sourire : en réalité, Minucius estime beaucoup la philosophie, et cherche à la mettre de son côté. Il lui semble que par momens les anciens philosophes s’accordent si bien avec les chrétiens qu’on pourrait prétendre « ou que les chrétiens d’aujourd’hui sont des philosophes, ou que les philosophes d’autrefois étaient des chrétiens. » Il tient surtout à convaincre ceux qui le lisent que le christianisme n’est point l’irréconciliable ennemi du monde, et qu’on n’est pas contraint, quand on l’embrasse, de renoncer aux sentimens de la nature et aux devoirs de la société. Son Octavius, ce chrétien modèle qu’il a choisi pour exposer la nouvelle doctrine, est le plus tendre des amis, si uni à ceux qu’il aime qu’il ne fait qu’un avec eux. « Vous diriez une même âme divisée en plusieurs corps, » C’est aussi un fort bon mari, un excellent père, qui ne quitte sa maison qu’à regret, qui a grand’peine à se séparer de ses petits enfans. Enfin pour montrer que le christianisme ne force pas à rompre avec le métier qu’on exerçait, l’auteur a soin de faire observer que l’entretien se passe pendant les vacances d’automne. C’est seulement « quand l’approche des vendanges donne quelque relâche aux tribunaux » que l’avocat chrétien se permet de s’éloigner de Rome et