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un autre individu accourt ; avec son aide, le travail s’accomplit. Souvent, tandis que des fourmis cramponnées au sommet des tiges détachent des capsules, des ouvrières qui attendent au pied de la plante reçoivent les produits et les emportent. En vérité, on ne saurait mieux faire. Dans cette société si intelligente, il y a néanmoins des individus sots et ignorans. Des fourmis sans éducation, au lieu de choisir de bonnes graines, s’emparent de corps sans usage, et rentrent fièrement à l’habitation croyant avoir exécuté une belle besogne. Les malheureuses sont alors accueillies comme elles le méritent. Des inspecteurs, qui ne se laissent pas tromper, les forcent à sortir du nid au plus vite et à jeter au loin l’objet inutile. Témoin de pareils actes, l’observateur tenait à s’assurer que l’erreur n’est pas seulement parmi les hommes, qu’elle est encore parmi les fourmis. Dans le chemin que suivent les attes qui vont aux champs, il jette des grains de porcelaine grise ou blanche du volume et de l’aspect de certaines semences. Aussitôt des fourmis d’un faible discernement se précipitent sur ces morceaux durs, difficiles à retenir entre les mandibules, et les emportent. Sans tarder, les individus capables font comprendre leur sottise à ces pauvres créatures. Désormais chaque ouvrière passera près des grains de porcelaine et ne s’avisera plus d’y toucher.

Gens sans pitié lorsqu’il s’agit de reconnaître un fait sont les expérimentateurs. Taquiner, déranger, mettre dans l’embarras ces vaillantes fourmis afin de voir si elles seront assez ingénieuses pour se tirer d’affaire, devient l’occupation de celui qui les admire. Il répand tout près d’un nid des graines extrêmement volumineuses ; les petites bêtes se jettent avec fureur sur ces grosses pièces et s’efforcent de les enlever. Faute d’y parvenir, elles les abandonnent ; mais le jour où la germination a commencé sous l’influence d’une averse, elles peuvent les saisir par la radicelle, et alors elles les entraînent à grande distance.

Après avoir vu les attes noires occupées à la moisson, il est tout naturel d’entreprendre quelques visites domiciliaires. Justement, sur le coteau aride, on aperçoit un petit espace couvert de plantes qui ne croissent guère que dans les champs cultivés ; ce sont des fumeterres, de l’avoine, de l’ortie, des véroniques, de la linaire. A tel indice, on ne saurait douter de la présence d’un nid ; en pareil endroit, les fourmis seules ont pu semer les graines de semblables végétaux. Les attes n’ont nul besoin de matériaux de construction, elles pratiquent simplement des galeries et des chambres souterraines, profitant parfois d’une ouverture, accidentelle qui rend les premiers travaux plus faciles. Aux abords de la fourmilière, des amas de terre, de gravier, de fragmens déracines provenant des déblais, des tas d’enveloppes de graines ou de capsules, enfin de tous