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suivre les manœuvres des araignées qui établissent dans la terre de ravissantes retraites. Ainsi nous sont parvenus de nouveaux renseignemens précieux pour le naturaliste et pour le philosophe[1].

L’observateur nous conduit dans un endroit désert, non loin de la petite ville de Menton. La roche est une sorte de grès friable, le sable s’est accumulé dans les trous. La végétation est pauvre, çà et là croissent des cistes, du thym, de la lavande noire. Il y a des pierres, et près des pierres des pins maritimes tout rabougris. Au-dessous de l’espace aride et sauvage, orangers et citronniers, soigneusement entretenus par la main des hommes, remplissent la vallée ; des plantes basses, profitant de la terre cultivée, se pressent sur les bords et répandent en automne des graines à profusion. Sur la garrigue, deux longues colonnes de fourmis moissonneuses, c’est l’atte-noire, cheminent en sens opposé ; l’une se dirige vers le terrain cultivé, l’autre en revient. Le mouvement de la première colonne est rapide et bien ordonné ; les fourmis ne portent rien. Très différente est l’attitude de la seconde troupe ; la marche est pénible et irrégulière, toutes les fourmis sont chargées d’un lourd fardeau. Chaque individu tient entre ses mandibules une graine, quelquefois une grosse capsule qui lui couvre la tête et l’empêche de voir la route ; les chutes sont fréquentes, mais le pauvre insecte est courageux, il n’épargne pas sa peine, il n’abandonnera pas sa récolte. On juge aisément que les bêtes chargées vont au logis ; il faut les suivre, car c’est plaisir de voir avec quelle vivacité elles rentrent dans la demeure souterraine. Sur des points de la garrigue éloignés des terrasses herbues et fleuries, les attes noires errent comme au hasard ; elles ne s’inquiètent pas des lieux où elles trouveraient la richesse ; les transports à grande distance sont coûteux aussi bien pour les fourmis que pour les hommes. Dans une ingrate situation, les intelligentes petites bêtes préfèrent fourrager les environs malgré la misère de la végétation. Si la récolte est beaucoup plus laborieuse, il n’y a pas de temps perdu en courses longues et fatigantes ; la compensation reste à l’avantage des moissonneuses.

Le plus ordinairement les attes se contentent de ramasser les semences tombées ; au besoin pourtant elles savent très bien faire la cueillette. Voici la plante de tous les terrains secs, la bourse du pasteur ; une fourmi grimpe, et, choisissant la tige garnie de graines, elle la coupe ; puis, avec des précautions infinies, elle descend en arrière traînant son butin et va rejoindre ses compagnes. Parfois ce sont les fruits volumineux de la morgeline[2] ; qui sont enlevés. L’opération est-elle difficile ou impossible pour un seul individu,

  1. Harvesting Ants and Trap-door spiders, London 1873. — Supplement to Harvesting Ants, London 1874.
  2. Alsine media, mouron des oiseaux.