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comme vidée jusqu’à cette limite. Le traité de 1865 concédait même à la république argentine la faculté de faire valoir ses droits sur la partie du Chaco au nord du Pilcomayo en concurrence avec la Bolivie et le Paraguay ; ce territoire avait peu d’importance pour la république argentine, mais son gouvernement attachait un intérêt considérable à la conservation de la Ville-Occidentale, située à quelques lieues au-dessus de l’embouchure du Pilcomayo. Le dernier point à résoudre était la possession de la fameuse île de Cerrito. Cette île, située au confluent des deux fleuves Paranà et Paraguay, était la clé de tous les points en litige. La vérité, connue de tous, était que le Paraguay défendait à peine ses droits sur cette île, dont les Argentins avaient été paisiblement en possession jusqu’en 1844, époque où ils avaient été dépossédés par Lopez ; mais on savait aussi que le Brésil voulait considérer cette île comme paraguayenne pour la garder.

Si le général Mitre eût traité librement ou s’il eût pu faire triompher ses idées, la question du Chaco eût été vidée par l’abandon de la Ville-Occidentale et l’acceptation de la limite du Pilcomayo, qui eût été également acceptée par le Paraguay ; peut-être même eût-il transigé sur la neutralité de l’île de Cerrito, résolvant ainsi les questions en litige et délivrant les deux pays du poids de graves préoccupations. L’opinion publique eût approuvé ce résultat ; n’attachant que peu d’intérêt à ces longues querelles à propos de déserts inexplorés, sans même ambitionner la limite du Pilcomayo, elle se fût contentée de celle du Bermejo, fleuve plus important, connu jusqu’à sa source, visité mensuellement par un vapeur qui part de Buenos-Ayres et qui assure au Rio de la Plata le commerce des provinces excentriques de la république et le transit de la Bolivie. Quant à l’abandon ou à la conservation de la Ville-Occidentale, est-ce donc une question vitale pour la république ? est-ce même une question d’amour-propre national qui ne puisse se vider que les armes à la main ? Évidemment non ; si le Grand-Chaco est peut-être argentin, la Ville-Occidentale ne l’a jamais été ; elle fut fondée en 1855 par Solano Lopez, à son retour d’Europe, sous le nom de Nouvelle-Bordeaux, pour y établir des familles françaises venues avec lui : abandonnée quelques années plus tard, elle fut occupée pendant la guerre par la république argentine, qui la garda, la considérant comme un point stratégique que l’on ne pouvait sous aucun prétexte abandonner. Cette importance que l’on donne à la Ville-Occidentale vient en réalité d’une erreur géographique. On croit généralement à Buenos-Ayres, sur la foi de cartes insuffisantes, que le Pilcomayo aboutit dans le Paraguay par deux embouchures, et que la Ville-Occidentale, située au nord de la première et au sud de la