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ensanglantait les rues de Londres. Lord North poursuivait, non par conviction, mais par complaisance, la politique qui plaisait le mieux au roi. De temps en temps, après avoir offert sa démission, il consentait à rester en place sur les supplications de George III, qu’il n’aimait pas au fond, comme il le montra plus tard. Enfin, lorsque le courrier d’Amérique apporta la triste nouvelle de la capitulation de Cornwallis, comprenant que soutenir la lutte devenait impossible, il prit une bonne fois la résolution de se retirer. Il avait été douze ans premier ministre, toujours impopulaire (il en convient lui-même), toujours en butte dans le parlement aux attaques d’adversaires non moins habiles qu’éloquens ; l’opinion publique lui avait été contraire presque constamment. Toutefois, s’il conserva tout ce temps le pouvoir, ce ne fut pas seulement par la faveur du souverain ; on peut lui rendre cette justice, qu’il possédait une dextérité rare dans le maniement des hommes. Nul n’avait plus que lui l’oreille du parlement, suivant l’expression consacrée. Pour lui, de même que pour Grenville, qui ne le valait pas, avoir la majorité dans le parlement était le grand point, quelles que fussent les idées dominantes dans la population. On a revu depuis des ministres imbus des mêmes préjugés ; leur passage au pouvoir a-t-il jamais été un événement heureux ?

Il est vraisemblable qu’à la chute de lord North s’évanouirent les dernières velléités despotiques de George III. Le nouveau cabinet, dont lord Rockingham était le chef, ne se composait que de whigs. Peut-être ceux-ci, qui vivaient depuis longtemps dans l’opposition, manquaient-ils alors de l’expérience des affaires, ou plutôt, en devenant les maîtres, crurent-ils à tort que le ministère devait renfermer toutes les sommités du parti sans que les membres qui le composaient eussent un programme commun. Après dix-huit mois de discussions intestines, les hommes qui marquaient le plus dans le parlement s’effacèrent pour laisser la première place à William Pitt. Celui-ci n’avait que vingt-trois ans ; de même que son père, il avait l’éloquence et l’autorité ; il sut garder le pouvoir que les autres lui avaient abandonné.

C’est ici que s’arrête, à vrai dire, la carrière politique de Wilkes. Cet agitateur, dont le nom avait acquis une si bruyante notoriété, ce pamphlétaire, dont les écrits avaient tant scandalisé la cour, n’était après tout qu’un whig fort modéré, un royaliste dévoué, qui se contentait de la dose de réformes et de libertés que lord Chatam et William Pitt admettaient l’un et l’autre. Fox et Sheridan l’accusèrent bientôt d’être un transfuge parce qu’il ne votait plus avec eux. D’ailleurs l’âge avait calmé sans doute l’ardeur de ses jeunes années, et il était enfin en possession d’une fastueuse