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parlait jusqu’à un certain point sa langue, mais qui, de cœur et d’âme, vivait pour une autre patrie. Nous nous garderons de nous étendre plus longuement sur ce sujet délicat; mais il nous sera bien permis dans notre deuil de puiser quelque consolation, en dehors de toute arrière-pensée politique, dans les marques de sympathie qui nous parviennent de l’autre côté des Vosges, et qui montrent qu’on pense toujours à nous.

Je ne suis à aucun titre confident des raisons qui ont engagé M. le professeur Reuss à publier en français le grand ouvrage biblique par lequel il désire couronner sa longue, sa brillante carrière d’exégète et de critique. Alsacien avant tout, écrivant l’allemand avec une supériorité reconnue depuis longtemps en Allemagne même, ayant publié dans cette langue, lorsque l’Alsace était encore française, des œuvres scientifiques de premier ordre, mais dont le genre était alors exclusivement allemand, et qui n’eussent guère trouvé de lecteurs en France, M. Reuss aurait pu, sans rompre avec son passé, donner à la théologie germanique ce fruit dernier des études de toute sa vie. Il a préféré en doter notre science française. Ce n’est pas un levain quelconque d’hostilité contre l’Allemagne qui a pu le déterminer. Il pense, et nous sommes de son avis, qu’il faut soigneusement préserver les altitudes de la science et du grand art de toute compromission avec les rivalités ou les rancunes internationales; mais nous ne croyons pas trahir sa pensée en disant qu’il a voulu rendre encore un service à son ancienne patrie par la composition en français d’une encyclopédie biblique où nous pourrons tous chercher les résultats d’une critique, aussi savante qu’impartiale, appliquée à ce livre dont chaque page adresse à la science une question et à la conscience un appel. Le grand rôle de Strasbourg dans la France de naguère, c’était d’introduire chez nous, en le filtrant, le flot puissant et trouble de la science allemande. C’est aux leçons de M. Reuss et de ses collègues de l’ex-académie que de nombreux étudians français se familiarisaient avec des points de vue et des idées qui, sous leur forme purement germanique, n’eussent que difficilement commandé leur attention. Le professeur de l’université nouvelle achève l’œuvre à laquelle il s’était longtemps dévoué comme professeur de l’ancienne académie. Il ne faut chercher ni plus ni moins dans cette publication française, mais il ne faut pas nous en vouloir si nous recevons avec reconnaissance cette preuve signalée d’un intérêt qui survit à l’ordre de choses détruit par la violence.

M. Reuss a donc entrepris une traduction suivie de la Bible tout entière, avec introductions et commentaires pour chaque livre. Cette œuvre de longue haleine se composera de douze ou quinze volumes et sera publiée dans l’espace de trois ou quatre années. Deux