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beaucoup, il serait permis de croire que ses rêves ne se réaliseront point, que ses plus beaux jours sont passés, que les élections prochaines justifieront ses inquiétudes, que dans le sénat et dans la chambre des députés elle comptera moins d’amis dévoués que dans l’assemblée nationale, et des adversaires moins généreux ou moins imprévoyans. Toutefois il est bon que la France réfléchisse aux embarras que pourrait lui susciter le triomphe d’un parti qui l’isolerait du reste du monde, en attendant de la pousser aux aventures. — Lascia le donne ec studia la matematica, disait à Jean-Jacques une courtisane de Venise, et ce mot fut répété un jour par un maître publiciste à un écrivain qui avait eu l’ingénuité de raisonner en docteur sur une matière de politique ecclésiastique. — Laisse les femmes, que tu ne connais pas, lui disait-il, et étudie l’arithmétique. Le publiciste avait raison. La politique de l’église est une politique de femme, elle en a toutes les exigences et toutes les tyrannies. Ceux qui épousent ses intérêts, l’église les considère comme ses chevaliers, qui lui appartiennent corps et âme ; elle dispose de leur sort sans les consulter, ils doivent être fiers de porter ses couleurs et heureux de risquer leur vie pour elle. C’est l’histoire que Schiller a mise en ballade. Le lion est entré dans l’arène, le tigre aussi, et le léopard. Du haut de son balcon, la charmante Cunégonde laisse tomber son gant, et, le sourire aux lèvres, elle dit au chevalier Delorges : « Seigneur, si votre amour est aussi brûlant que vous me le jurez à toutes les heures du jour, veuillez, je vous prie, me rapporter mon gant. » Le chevalier s’exécuta, et, par miracle, il ne fut point dévoré; mais de ce jour il ne revit plus la charmante Cunégonde. La France sera plus sage que le chevalier Delorges, et s’il plaît à l’église de jeter son gant à la face de l’Allemagne ou de l’Italie, elle ne se mêlera point de cette affaire, elle réserve son épée pour de meilleures occasions. Aussi bien les femmes se lamentent beaucoup et protestent pour la forme. Dans le fond, elles ont le courage et l’industrie des longues patiences. Elles trouvent moyen, quand on les laisse faire, de s’accommoder des situations qu’elles déclaraient insupportables; on est leur dupe en les plaignant trop. On nous citait un mot charmant du saint-père. Au printemps dernier, le lendemain du jour où Garibaldi arriva à Rome pour siéger dans le parlement italien, le prisonnier volontaire du Vatican dit à quelqu’un avec qui il cause librement : « Eh bien! on disait que nous ne pourrions pas tenir deux à Rome; depuis hier, nous y sommes trois. » Ce mot prouve que, si le pape Pie IX a le tort de se croire infaillible, il ne laisse pas d’avoir beaucoup d’esprit et le sentiment très fin des situations. Ne soyons pas plus royalistes que le roi, et tâchons d’être au moins aussi Italiens que le saint-père et aussi résignés que lui à la perte de son pouvoir temporel.


G. VALBERT.