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pas à s’abattre sur lui. Il ne connaît plus que les épines de cette couronne tant enviée. De plus en plus la Russie et la Prusse le serrent jusqu’à l’étouffer. Les ambassadeurs de Catherine et de Frédéric II sont plus rois que le roi à Varsovie. Bientôt va se former la confédération de Bar, dernière et héroïque convulsion de l’indépendance polonaise. Quelques années encore, et on touche à la fatale date de 1772! Stanislas-Auguste est réduit à louvoyer sans cesse, à plier, à dévorer les affronts et les amertumes. Il a beau dire et répéter : « Patience, courage ! » il sent tout lui manquer. A chaque crise plus aiguë qu’il traverse, il n’a d’autre ressource que de s’abandonner à cette superstition de croire que, puisqu’il s’est tiré d’affaire encore une fois, il finira par triompher du mauvais destin. Parfois sans doute il se laisse aller à un abandon familier qui n’est pas sans grâce, et il écrira : « Je ne puis vous dire à quel point mon cœur est pénétré de vous, de votre amitié, combien quelquefois, et par exemple dans ce moment où je vous écris, je souhaiterais causer avec vous. Il me semble que je vous vois, et qu’en laissant titre et passions à la porte nous nous mettons à jaser à l’aise en nommant chaque chose par son nom, et en nous moquant de toutes ces importantes misères qu’il faut respecter... Galanterie, politique, etc., tout serait jugé entre nous avec équité et même avec gaîté malgré les malheurs affreux du temps... » Le plus souvent il flotte entre le découragement et une confiance obstinée, mélancolique, accompagnée d’une certaine dignité dans le malheur. « Ma destinée, écrit-il, a été constamment telle. Dans chaque différente scène de ma vie, toujours d’abord quelques succès brillans et inattendus, et qui venaient tout seuls, mais courts; puis des revers longs et pénibles qui m’amenaient au bord du précipice, — et puis Dieu changeait la scène, ou par quelque expédient qu’il m’inspirait, ou par quelque circonstance qu’il produisait tout à fait sans moi, et puis je marchais dans un nouveau chemin. J’ai des témoins que dans ma première enfance j’ai toujours eu le pressentiment d’une grande élévation. J’ai dit également en devenant roi : Vous verrez que j’aurai bientôt de terribles revers. Tout ce que j’aurai entrepris sera endommagé et détruit, mais je survivrai, je surnagerai à la fin, et je sens encore la même espérance, quoique je sois actuellement dans les plus extrêmes embarras. Tous ceux dont je vous ai parlé ont empiré naturellement par le temps même de leur durée. Je suis en vérité extrêmement mal; mais je me dis : C’est à présent à Dieu à me tirer d’affaire. En attendant, faisons notre devoir. »

Stanislas-Auguste ne craint pas de dévoiler ses angoisses de tous les jours dans l’intimité. Il a parfois des expressions navrantes sur