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trop d’ailleurs la pratique des gouvernemens parlementaires pour ne pas savoir que dans une assemblée on ne peut pas marcher seul, et qu’on est tenu de choisir entre les partis. Or, ainsi qu’il l’a dit lui-même, « on devait ou regarder la révolution comme faite et ne viser qu’à la durée du résultat, ou la prendre comme un commencement et perpétuer l’état révolutionnaire, en un mot s’établir dans ses conquêtes ou conquérir l’inconnu. » M. de Rémusat n’hésita pas, et, placé entre les deux partis qui s’intitulaient, l’un parti du mouvement, l’autre parti de la résistance, il choisit le dernier, tout en le blâmant quelquefois.

Quand donc, après l’essai de deux ministères impuissans, M. Casimir Perier arriva au pouvoir, il appela à lui M. de Rémusat, le plaça dans son cabinet, et lui confia la rédaction de quelques rapports et de quelques circulaires, notamment de la circulaire fameuse où, sans imposer aux préfets une neutralité absolue dans les élections, il leur recommandait de ne sacrifier aucun intérêt public à un intérêt électoral, et de respecter scrupuleusement l’indépendance des consciences. M. de Rémusat n’était pas d’ailleurs pressé de monter à la tribune, et c’est plutôt dans le cabinet du ministre et dans les bureaux de la chambre que son action s’exerçait. Néanmoins, dans la discussion de l’adresse qui suivit les élections, il prit la parole pour prouver que la doctrine de l’opposition conduisait inévitablement à la guerre universelle. « Or, dit-il, la liberté, pour se maintenir, a besoin dans l’intérieur de l’ordre, à l’extérieur de la paix. » La majorité lui prouva par ses acclamations que sur ce point elle pensait comme lui.

Pendant toute la durée du ministère de M. Perier, M. de Rémusat resta à ses côtés, auxiliaire habile, toujours écouté, et dont l’influence allait en grandissant chaque jour. A voir l’affection que lui portait le chef du ministère, on pouvait croire qu’il songeait à l’attacher au gouvernement par un lien plus étroit, quand une attaque de choléra vint enlever à la France un ministre qui, dans ses rapports avec la royauté, avait su admirablement concilier la fidélité avec l’indépendance. M. de Rémusat, qui le connaissait bien, qui l’aimait, fut plus que personne affligé de sa mort, et dans la notice qu’il a publiée en tête de ses discours, il a fait de ce grand ministre un portrait qui restera. « La dernière année de sa vie, dit-il, lui a suffi pour prendre dans l’histoire une place que quarante années remplies d’histoire avaient laissée vide. Il a dignement représenté la révolution au pouvoir, c’est-à-dire la révolution qui triomphe et se modère, la révolution gouvernant par la paix et par la loi. »

Après la mort de M. Perier, il s’était formé un ministère intérimaire qui ne put survivre à l’insurrection républicaine du mois de juin et à la guerre civile des départemens de l’ouest provoquée par