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amener la paix entre la France et l’Allemagne et régler les affaires si profondément troublées du continent ! « Nous avons toujours été d’avis, écrivait M. de Beust dès le 10 septembre à Saint-Pétersbourg, que c’est à la Russie de prendre l’initiative. » Sa grande situation au dehors, sa sécurité à l’intérieur, ses bonnes relations avec le vainqueur, lui assignaient en effet une telle initiative, et certes ni l’Autriche, ni l’Italie, ni l’Angleterre n’eussent hésité à se ranger sous sa bannière. Point n’était besoin d’une intervention menaçante, ni même de cette neutralité armée que recommandait M. Disraeli[1] : la volonté fermement exprimée par toutes les puissances du continent eût pleinement suffi. On eût pu limiter ainsi les pertes de la France, pourvoir à ce que l’Allemagne reçût une organisation moins redoutable, plus en harmonie avec les aspirations et les occupations libérales de notre siècle, — les grands vassaux du nouvel empereur n’eussent pas manqué eux-mêmes d’y prêter leur concours; — un désarmement général eût rendu au travail réparateur et fécond une génération bien cruellement éprouvée, et qui à l’heure qu’il est ne peut même faire son repos de sa stérilité. Et qui oserait douter qu’après de tels services la Russie n’eût obtenu de l’Europe reconnaissante l’abrogation de tel article onéreux du traité de 1856? Ce n’est pas la France certes qui eût pensé y mettre obstacle; ce n’est pas l’Autriche qui eût maintenu une clause qu’elle avait combattue dès l’origine et que, quatre ans auparavant, elle avait déjà solennellement déclaré n’être « qu’une question d’amour-propre » dont les intérêts les plus graves demandaient le sacrifice; quant à l’Angleterre, on sait bien que depuis un certain temps il y a des accommodemens avec elle, ou plutôt que depuis un certain temps elle s’accommode de tout. Combien un pareil bienfait procuré à l’humanité par un gouvernement monarchique, voire absolu, eût donné de force à la cause de l’ordre et de la conservation, de rajeunissement au principe monarchique! de quel prestige il eût entouré le peuple russe, quelle splendeur impérissable il eût attachée au nom d’Alexandre II! L’appel du destin était bien manifeste, le rôle aussi indiqué que facile : le successeur du comte Nesselrode s’y est dérobé. Ce ne fut qu’un péché d’omission, si l’on veut, mais du genre de ceux auxquels le sublime justicier Alighieri ne pardonnait guère quand ils étaient commis envers son idéal de justitia et pax. A pareil péché, il infligeait le nom de il gran rifinto.


JULIAN KLACZKO.

  1. Discours du 1er août dans la chambre des communes.