Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/625

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

irréprochables, sur des ecclésiastiques pieux et respectés ; la prélature même n’a pas été exempte de ces attentats.

« A la vue de ce spectacle inouï, où, par les plus bizarres contrastes, on voyait un homme grave et sage, accablé, confus de tenir dans ses bras l’enfant d’une prostituée qui l’en proclamait le père aux yeux de la justice, à ces scènes scandaleuses, vous dirai-je que tous les honnêtes gens gémissaient et tremblaient pour eux-mêmes, tandis que le libertinage seul osait rire ? Ah ! quelle est la vertu si ferme qui puisse se croire à l’abri des accès de folie d’un libertin et de la vénalité d’une fille ? Quel est le magistrat, l’homme public qui ne pourrait être victime de sa propre maxime ? »


Ce réquisitoire coloré eut un succès considérable, la maxime virgini parturienti creditur ne s’en releva point, et la recherche de la paternité elle-même en fut atteinte. Aussi, lorsque la convention entreprit d’effacer les préjugés contre les enfans naturels en les plaçant, en matière de succession, à peu près sur le même pied que les enfans légitimes (loi du 12 brumaire an II), s’abstint-elle de leur accorder le droit de rechercher leur père. C’était Cambacérès qui remplissait les fonctions de rapporteur, et dans son ardeur d’égalité, il ne reculait point même devant l’assimilation des enfans adultérins aux enfans légitimes. « Si je n’avais à vous présenter que mon opinion personnelle, lisons-nous dans son rapport, je vous dirais : Tous les enfans indistinctement ont le droit de succéder à ceux qui leur ont donné l’existence. Les différences établies entre eux sont l’effet de l’orgueil et de la superstition ; elles sont ignominieuses et contraires à la justice. » Cependant il consentait à faire quelques concessions motivées, disait-il, par l’état actuel de la société et la transition d’une législation vicieuse à une législation meilleure. Les enfans nés de père et mère non engagés dans les liens du mariage obtinrent seuls des droits de successibilité égaux à ceux des enfans légitimes, les successions collatérales exceptées, et ces droits demeurèrent subordonnés à une possession d’état qui ne pouvait résulter que « de la présentation d’écrits publics ou privés, ou de la suite de soins donnés à titre de paternité et sans interruption, tant à leur entretien qu’à leur éducation. » Le sort des enfans naturels ainsi réglé, la convention s’occupa des filles-mères. Elle leur accorda, on doit en convenir, une compensation des plus flatteuses en échange de l’abandon de la maxime qui avait fourni un si beau thème à l’éloquence de l’avocat-général Servan, en décrétant que « toute fille qui pendant dix ans soutiendra avec le fruit de son travail son enfant illégitime aura droit à une récompense publique. » Mais, hélas ! la réaction allait venir, et elle devait