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d’outre-tombe. Pour celui qui douterait, ou n’aurait souci de son éternité heureuse ou malheureuse, voici le cadavre et son dernier logement avec tous les outils qui servent à le construire. Voilà un fait au moins inniable ; que le bel esprit douteur essaie de bien rire en contemplant cet avenir qui est le sien ! En dépit de la vogue des danses macabres dans les deux derniers siècles du moyen âge, on ne trouverait certainement rien d’analogue aux vignettes dont je viens de parler dans les manuscrits des époques antérieures. Nous venons de rappeler la chanson du fossoyeur d’Hamlet ; le violent mauvais goût de ces images annonce en effet comme vaguement l’approche de Shakspeare et de ses contemporains ; elles se ressentent aussi de l’approche ou plutôt de la présence de l’imagination espagnole, volontiers amie du funèbre, qui vient d’apparaître dans la religion avec Ignace de Loyola et ses compagnons.

Les compagnons de Loyola ! ils n’eurent pas de plus chaud protecteur que le cardinal de Tournon. Il semble avoir été parmi ceux qui comprirent des premiers le mécanisme et le but de cet ordre, car on le voit étendre dès l’origine sa faveur sur eux en toute circonstance. Pendant qu’il était archevêque de Lyon, deux disciples de Loyola, dont l’un, Alphonse Salmeron, si célèbre par les doctrines sur l’infaillibilité papale, qu’il vint porter avec Lainez au concile de Trente, arrivèrent dans cette ville et furent aussitôt après leur arrivée mis en prison comme sujets de l’empereur, avec qui la France était alors en guerre. Le cardinal de Tournon en fut instruit et les fit rendre à la liberté. C’est lui plus que personne qui les introduisit en France, et, aussitôt introduits, il leur donna la direction du collège de Tournon, qu’il avait fondé. En vérité, si l’on voulait définir d’un trait net et rapide le caractère du cardinal, il suffirait de dire que parmi les grands personnages du XVIe siècle, aucun ne représenta au même degré le type du conservateur. D’autres mêlèrent à leur conservatisme des visées ambitieuses ou des vues personnelles, lui ne semble avoir eu d’autre but que le maintien des doctrines ; mais ce but, il le poursuivit en toute circonstance avec une opiniâtreté, un acharnement et un esprit de suite des plus remarquables. Les mémoires du XVIe siècle nous le montrent poursuivant l’hérésie avec une vigilance qui ne laissait échapper aucune occasion. Au plus fort de la nouveauté de la réforme, alors que la lutte n’était pas encore engagée et que bien des esprits parmi les puissans étaient incertains ou marquaient une tendance à écouter les nouvelles doctrines, François Ier, gagné par sa sœur, la reine Marguerite de Navarre, avait consenti à recevoir Mélanchthon et à converser avec lui. Le cardinal de Tournon apprit le fait et alla se placer dans l’antichambre du roi, le livre de saint