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France, et, quand on a parlé, de voir courir sur les peuples un esprit de vie nouvelle. » Assurément, l’homme qui parlait de la sorte ne devait pas être soupçonné de vouloir affaiblir chez ses compatriotes de Provence le sentiment de la grande patrie. Bref, en dépit de certaines paroles dont on aurait voulu atténuer l’accent, il était impossible de voir dans l’épisode des Catalans autre chose qu’une aventure, touchante image de ces mouvemens d’expansion, de ces ardeurs de sympathie qui appartiennent si profondément au génie de notre France.

L’aventure eut des suites dont la poésie provençale n’eut qu’à se féliciter. Au printemps de 1868, la ville de Barcelone devait célébrer ses jeux floraux. Les poètes catalans organisateurs de la fête y invitèrent leurs frères des contrées du Rhône. Plusieurs d’entre eux, M. Mistral en tête, répondirent à cet appel, et l’abbaye du Montserrat vit arriver sur ses hautes cimes une légion de pèlerins enthousiastes comme elle n’en avait pas connu depuis le XIIIe siècle. Un savant même, un des maîtres de la philologie et de la critique érudite, M. Paul Meyer, s’était joint à M. Mistral et à ses amis, heureux de retrouver au grand soleil toutes vives, toutes radieuses, maintes choses qu’il a disputées si vaillamment à la poussière des manuscrits. La même année, au mois de septembre, la Provence reçut à son tour les représentans littéraires de la Catalogne. Saint-Rémy, la jolie petite ville des Alpilles, d’où est sortie la renaissance provençale, avait été choisie pour centre de la fête. On s’y souvient encore de ces journées d’enthousiasme. Ce n’était pas seulement une réunion de lettrés qui échangent des complimens et des toasts, c’était une solennité populaire. L’église y était associée comme dans les cérémonies du moyen âge. Les cloches sonnaient, les hautbois chantaient, les tambourins mettaient tout ce monde en liesse. Avignon et Arles continuèrent la réception poétique, donnant chacune à la fête un caractère particulier. Sur la rive droite du Rhône, au-delà de Villeneuve-lèz-Avignon, dans ce pittoresque vallon du chêne vert, d’où l’on domine un si splendide pays, la villa Séménow entendit par un soir de septembre des sirventes et des canzones répétés au loin par les échos. C’est là que M. Mistral lut pour la première fois son poème du Tambour d’Arcole que nous avons traduit et publié ici même quelques semaines plus tard[1]. Quelles fêtes aussi dans les arènes d’Arles ! Et quels entretiens aux Aliscamps ! On sait que le souvenir du Dante, évoqué par un vers de la Divine Comédie, plane sur l’austère allée au

  1. Voyez, dans la Revue, au 15 novembre 1868, les pages qui portent ce titre : Un Mot sur la fête internationale de Saint-Rémy de Provence.