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ils le ramassent. Les choses que vous avez résolu de condamner à l’oubli reparaissent au jour par les soins de ces maladroits auxiliaires. Suscités par vous, ils travaillent contre vous. Voilà votre premier péril, si vous n’êtes sur vos gardes, le danger du prosaïsme et de la vulgarité. Il y en a un second d’un autre ordre : à force de vous entendre dire en des congrès solennels que vous avez retrouvé une langue et ressuscité une nation, vous finirez peut-être par céder aux tentations décevantes. Il ne faudrait pas qu’une certaine infatuation littéraire vous entraînât à perdre de vue la grande communauté nationale. Ce fut souvent votre écueil, défiez-vous !

On le voit donc par ce résumé fidèle, l’histoire de la poésie provençale au XIXe siècle présentait à la fois des efforts très dignes de sympathie et des symptômes un peu inquiétans. Le grand intérêt du recueil de vers que vient de publier M. Frédéric Mistral, c’est que le poète, sans y prétendre et sans blâmer personne, le plus simplement et le plus naturellement du monde, ramène l’entreprise commune en ses justes limites.

Les pages qui avaient un instant déparé Mireille en 1859, c’étaient les pages altières de la préface, c’est la préface au contraire qui seize ans plus tard fait la principale beauté des Iles d’or. Voyez quelle simplicité, quelle droiture, quelle largeur d’inspiration ! voyez aussi quelles leçons se dégagent de ces confidences loyales ! Les jeunes générations oubliaient peu à peu le point de départ du félibrige ; c’est Mistral lui-même qui leur rappelle ces touchantes origines. Nous sommes fils de paysans, dit-il, et quand nous écrivons la langue du pays nous écrivons pour nos frères. Les aînés doivent assistance aux plus jeunes ; si nous sommes plus lettrés, il est juste que nos études profitent à notre langue natale, et par elle à ceux qui nous liront. La poésie que nous avons créée n’a pas d’autre raison d’être. Tel est évidemment le sens de ces pages si simples, si mâles, où le poète nous raconte sa première enfance et l’éducation de son esprit :


« Je suis né à Maillane en 1830, le beau jour de Notre-Dame de septembre. Maillane est un village du pays d’Arles comptant une quinzaine de cents âmes, et situé au centre d’une vaste plaine barrée au midi par les Alpilles bleues.

« Mes parens habitaient la campagne et exploitaient eux-mêmes leur bien patrimonial. Mon père, qui était veuf de sa première femme, avait cinquante-cinq ans lorsqu’il se remaria, et je suis le fruit de ce second lit. Mon pauvre père, — je l’ai perdu en 1855 dans ses quatre-vingt-quatre ans, — était ce qu’on appelle un homme du vieux temps. Voici comment il avait fait la connaissance de ma mère : Une année, à la