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cannibales. C’est, ma foi, un excellent ragoût pour eux que deux pères franciscains à la sauce rousse. Le capucin en daube se mange aussi comme le renard, quand il a été gelé. »

Tout en écrivant ces légèretés, où se retrouve l’esprit du XVIIIe siècle, De Brosses tenait par beaucoup de liens encore au siècle précédent. Il a partout des accès de colère subite et des pointes vives contre son époque. Il ne dit pas sans mauvaise humeur « que la méthode actuelle est d’appliquer à tout le ton philosophique. » Il ne peut s’empêcher de sourire quand il rappelle « que son siècle se pique d’être le siècle de la philosophie et du bon goût ; » loin de partager l’enthousiasme que ses contemporains éprouvent pour leur temps, il lui semble, ce qui est bien exagéré, « qu’on a déjà fait quelques pas du côté de la barbarie. » Il est resté le partisan passionné, exclusif, des grands écrivains de l’époque de Louis XIV. Il ne souffre pas que Voltaire se permette « de dérober à Corneille l’admiration publique dont il jouit, » et déclare « que la réclamation nationale s’est prononcée contre cette injuste critique. » Il a tenu aussi à venger la mémoire de l’illustre Saumaise contre les dédains des ignorans, et à ce propos il a pris la défense des recherches érudites, que personne n’estimait alors et dont il était à la mode de se moquer ; mais ici le courage l’abandonne vite, et dans cette opposition aux goûts de son temps il n’ose pas aller jusqu’au bout. Sa résistance est mêlée de faiblesses et de concessions. Quelle que soit la passion dont il est possédé pour les études d’érudition, et quoiqu’il leur ait consacré sa vie, ce n’est en réalité qu’un savant honteux qui cherche tous les moyens de se faire pardonner, qui a peur d’être ridicule, qui abandonne lestement ses confrères, et même au besoin se moque d’eux pour échapper lui-même aux railleries dont ils sont l’objet. Il faut voir comme il parle « de ces insipides grammairiens dont la lecture est tout à fait dégoûtante, » et comme il s’excuse d’être forcé de les imiter. Il a même émis à propos d’eux une théorie fort singulière, mais qui devait plaire aux gens de son temps et de son mondé : il a prétendu prouver qu’on pouvait désormais se passer de leur travail et que leur œuvre était achevée. « Disons vrai à cet égard : lors de la renaissance des lettres, ils étaient nécessaires pour éclaircir, pour rectifier le texte obscur et défiguré de tant d’excellens écrivains de l’antiquité. Ils nous en ont rendu l’intelligence aisée, et par là notre siècle, ennemi de la peine, leur doit ce bon goût dont il se vante, et qu’il a formé par la lecture facile des anciens auteurs classiques ; mais aujourd’hui la tâche des littérateurs de ce genre est à peu près remplie : on n’a plus besoin d’eux, et on n’en fait plus de cas depuis que par leur travail ils nous ont mis en état de nous en passer. » Voilà une assurance