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parti. D’ailleurs, grâce aux défroques élégantes et au bric-à-brac dont elle peut disposer, Marie sort à son bras, vêtue comme une duchesse, et transforme en boudoir délicieux l’échoppe où le clerc de notaire va désormais chaque dimanche oublier ses maussades travaux de la semaine.

De son côté, Andor ne se trouve pas à plaindre. Le jeune professeur d’histoire est appelé à donner des leçons, dans la famille Teschenberg, aux trois inséparables : Micheline, Julie et Hanna. Ici l’auteur, laissant de côté la critique des mœurs publiques, monotone dans sa violence même, revient aux scènes intimes, aux sentimens vrais, et cette partie de son livre s’élève par intervalles à la hauteur de ses anciennes inspirations. La timidité du jeune pédagogue devant les trois belles écolières qui tantôt se mettent en frais de coquetterie, et tantôt se moquent de lui, l’effort qu’il est obligé de faire pour les ramener au respect, en déclarant qu’il est venu leur apprendre l’histoire et non pas les faire rire, l’empire que son calme prend peu à peu sur ces écervelées, le trouble de Mlle Steschenberg lorsqu’elle reconnaît l’écriture de la déclaration amoureuse qu’elle a reçue dans la première ligne que trace le maître, le périlleux sujet de composition : un jour de printemps, qui provoque les aveux échangés entre Andor et Haussa, tout cela est plein de grâce. Il y a aussi une scène de patinage sur le bassin du Thiergarten, une leçon donnée au jeune savant, inexpérimenté en ces matières, par ses folâtres élèves, qui pourrait servir de pendant au tableau de Kaulbach : Goethe poursuivi sur la glace par les agaceries et les boules de neige des folies femmes de Francfort. En déployant une agilité de willis, sous son piquant costume polonais, Micheline Rosenzweig trouve un mari. Le lion de la résidence, de baron d’Oldershausen, tombe éperdument amoureux d’elle, au point de courir sans retard s’informer de la fortune du vieux Juif Rosenzweig, du nombre de ses enfans, bref de ce que vaut Micheline. Fi du clair de lune et des sérénades ! Cette chose sacrée, ce lien tout-puissant, qui faisait que deux âmes ne pouvaient plus exister l’une sans l’autre, le coup de foudre qui fit tomber Dorothée sur le cœur d’Hermann, Werther aux pieds de Charlotte, cet amour allemand, trop sublime pour qu’en l’appelle passion, et grand comme le devoir lui-même, est passé à l’état de niaise légende. L’amoureux pense à la dot autant qu’ailleurs. Si, rassuré sur ce point, il ose se montrer sentimental, c’est la jeune fille qui souvent l’arrête au début de ses effusions inutiles ; témoin le petit discours de Micheline à Oldershausen : — Vous me plaisez ; vous aimerai-je ? Nous le saurons plus tard. L’amour dans le mariage me paraît superflu, mais je tiens à l’estime. Comptez-vous me faire baronne, oui ou non ?