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de la tolérance un principe de leur gouvernement. Dans leur pauvre principauté, qui n’a vécu à travers tant de dangers qu’à force de sollicitude et de soins, ils professaient avant tout la religion de l’état. Ils n’avaient point assez de sujets pour se donner le luxe d’une orthodoxie rigoureuse, et leurs moyens ne leur permettaient pas de se faire persécuteurs : vivre d’abord et faire ensuite de la théologie, telle fut leur commune devise. Tous ceux qui en Allemagne souffraient pour la foi tournèrent leurs yeux vers ce pays lointain, et il vint un jour, néfaste pour la France, où la plate contrée dont le sable boit l’eau de la Havel apparut comme une terre promise aux habitans des pittoresques Cévennes et des rives enchantées de la Loire.

Quand le gouvernement de Louis XIV, après avoir épuisé les longs préliminaires de la persécution, en arriva aux violences ouvertes contre les protestans, ce fut entre les états réformés une véritable émulation à qui offrirait un asile aux Français fugitifs. Le grand-électeur se signala par son zèle. Comme il craignait que l’Angleterre et la Hollande, plus voisines, mieux connues et plus riches, n’attirassent à elles tous les émigrés, il fut plus pressant et plus engageant qu’elles. Dans l’édit de Potsdam, signé le 29 octobre 1684, et dont il fit répandre en France cinq cents exemplaires imprimés, il promit à tous ceux qui voudraient se rendre dans ses états des secours pour le voyage, des indications sur la route à suivre et des guides ; à l’arrivée, la franchise de tous droits pour l’argent, les meubles et les marchandises, la concession gratuite de maisons vides ou abandonnées, un emplacement et des matériaux pour bâtir, l’exemption d’impôts pour dix ans, l’octroi du droit de bourgeoisie ou l’inscription gratuite dans les corporations. Il offrit aux cultivateurs des terres, aux manufacturiers des avances de fonds, aux nobles les emplois qu’il leur plairait de choisir, à tous la formation de communautés où la parole de Dieu serait enseignée par des prédicateurs français, et où des arbitres français rendraient la justice. Tout ce qu’il promit, Frédéric-Guillaume le tint. Sur ses indications, les émigrans du nord de la France se dirigèrent vers Amsterdam, ceux du sud vers Francfort, et des commissaires prussiens, qui les attendaient dans ces deux villes, les conduisirent, aux frais de leur maître, vers le Brandebourg. Ceux des voyageurs qui avaient besoin de secours n’eurent point la peine d’en demander. Des collectes volontaires, auxquelles le clergé catholique lui-même apporta son contingent, des collectes forcées, après que la charité prussienne fut épuisée, ce qui arriva vite, enfin des prélèvemens sur le budget de la guerre formèrent un fonds d’assistance qui suffit à toutes les nécessités, si bien que la renommée porta le bruit de ces bienfaits à ceux des émigrés qui