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Les guerres de Louis XIV valurent à la Prusse les meilleurs colons qu’elle reçut au temps de Frédéric Ier. Fuyant leur pays incendié, conquis et ramené de force au catholicisme, un grand nombre d’habitans du Palatinat cherchaient un refuge : ils s’adressèrent à Frédéric, qui accueillit leur requête avec empressement, car il était en train de rebâtir et de repeupler Magdebourg. Le grand-électeur n’avait pu relever les ruines que l’armée impériale y avait faites pendant ces trois sinistres journées de la guerre de trente ans, où les Wallons et les Croates de Papenheim, lâchés comme des bêtes fauves sur la ville prise, tuèrent 30,000 habitans inoffensifs, et, mêlant l’incendie aux massacres, brûlèrent toutes les maisons, sauf cent trente huttes de pêcheurs, qui demeurèrent debout aux bords de l’Elbe, mais vides de meubles et d’habitans. C’est vers Magdebourg que Frédéric appela les émigrés après leur avoir promis toute sorte de privilèges ; il fit répandre dans le Palatinat une sorte de réclame où étaient vantés les avantages et les charmes de la ville. Elle est située, disait le rédacteur de cette affiche écrite en français, « dans une vaste pleine sur les bords de l’Elbe, rivière des plus belles et des plus navigables, » et, jouant sur l’étymologie du mot Magdebourg, il ajoutait en style du XVIIIe siècle : « On dit qu’elle a tiré son nom de Vénus et des Grâces, ses suivantes… » Comment résister à de pareilles séductions ? 1,376 familles, représentant 7,000 individus, vinrent s’établir à Magdebourg ou aux environs. Parmi eux se trouvaient des savans, des théologiens, des jurisconsultes, des artisans, des cultivateurs. Ces derniers introduisirent la culture du tabac, qui devint une richesse pour le pays, et tous contribuèrent à rendre à la pauvre ville une partie de sa prospérité d’autrefois.

Cependant les anciens habitans voyaient de mauvais œil ces étrangers que l’on comblait de privilèges, et qui leur faisaient dans leur commerce et leur industrie une concurrence ruineuse. L’électeur n’est occupé qu’à raisonner avec ses sujets et à les apaiser. Tantôt il les avertit d’être plus charitables, s’ils ne veulent pas que « le bon Dieu se mette de nouveau en colère contre la ville ; » tantôt il leur explique tout au long qu’ils se méprennent sur leurs vrais intérêts. Une fois même il fait publier par questions et réponses un véritable traité sur les avantages de la colonisation, où se trouve exposé tout le programme des Hohenzollern en cette matière. En voici quelques passages un peu abrégés : « Est-il utile à un pays et à ses anciens habitans que le prince attire des étrangers par certaines immunités et libertés ? — Oui, cela est utile, car l’expérience prouve que, plus il y a d’habitans en un lieu, plus il y a d’industrie. D’ailleurs rien n’est plus probant que l’exemple de l’incomparable héros, son altesse électorale Frédéric-Guillaume, de glorieuse mémoire, qui a pris sous sa très gracieuse protection les