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Français chassés de chez eux par la persécution religieuse, et attiré ainsi dans le pays d’utiles manufactures de toute sorte. Sa majesté prussienne n’a fait que suivre ce louable exemple en accueillant très gracieusement les habitans de la ville de Manheim et d’autres lieux ruinés de fond en comble par l’invasion française. — Les anciens habitans n’auraient-ils pas fait tout ce qu’ont fait les nouveaux, si sa majesté leur avait donné de pareils privilèges ? — Cela est fort douteux, puisque pendant soixante ans ils n’ont rien fait. — Sa majesté dépense encore chaque année de l’argent pour la colonie. Est-ce que cet argent rapporte quelque profit ? — Depuis leur arrivée à Magdebourg jusqu’à l’année 1708 inclusivement, les colons venus du Palatinat ont coûté en tout 114,462 thalers. Or ils ont dépensé en achat et construction de maisons, abstraction faite des avances et réductions qu’on leur a concédées, 102,846 thalers, avec l’argent qu’ils ont apporté du Palatinat ou qu’ils ont gagné par leur travail. Leurs manufactures de tabac et de laine, à ne parler que des plus importantes, de celles qui travaillent pour l’exportation, ont attiré dans le pays 667,395 thalers. Enfin les étrangers ont pour leur seul entretien dépensé près de 1 million de thalers, et il suffit de comparer le budget de la ville en 1689 et en 1708 pour voir si ses revenus ont été augmentés ou diminués… C’est pourquoi ceux qui ont été jusqu’ici mal disposés pour les pauvres étrangers feront bien de cesser leurs hostilités, et de se réjouir par charité chrétienne de voir des malheureux gagner, sans faire tort à qui que ce soit, un petit morceau de pain. Sur ce, que le Très-Haut daigne prodiguer également aux anciens et aux nouveaux habitans les trésors de sa bénédiction ! » Ainsi se termine par une prière ce budget dressé en forme de catéchisme. On y voit ce qu’on disait tout à l’heure, que Frédéric Ier savait fort bien compter, que la sollicitude des Hohenzollern pour les persécutés n’était point toute désintéressée, et que la charité chrétienne était en Prusse un placement, fort légitime d’ailleurs, qui rapportait beaucoup plus que 100 pour 100.

La qualité de persécuté n’était pas nécessaire pour ouvrir aux immigrans les portes de la Prusse. En l’année 1693, les gouvernemens de Zurich et de Berne ayant recommandé à Frédéric des sujets protestans de l’abbé de Saint-Gall qui se disaient vexés par leur maître, Fredéric fit répondre qu’il les accueillerait volontiers, mais qu’il verrait aussi arriver avec plaisir des artisans de tous les cantons, « pourvu qu’ils eussent quelque argent. » Il désigne l’espèce d’artisans qui lui manquent : il faudrait ici des fileurs, là des maçons, ailleurs des marchands ou des laboureurs. Tous auront des privilèges et des immunités ; il faudra pourtant que les cultivateurs achètent leurs terres, on leur fera de bonnes conditions, toutefois il est nécessaire qu’ils apportent au moins 200 thalers. On les