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ti chiego, et de ce prodigieux épisode des altos, des basses et des hautbois sur ramenta la piaga. Impossible aujourd’hui de se représenter l’effet que, dans un orchestre ainsi ménagé, les cuivres devaient produire à certains momens.

Ce passage du livre que j’ai cité plus haut en donnera peut-être une idée. « Je me rappelle, écrit l’auteur, avoir connu à Prague, dans mon enfance, une vieille dame fort spirituelle et du meilleur monde, laquelle avait assisté aux premières représentations de Don Giovanni, vu Mozart diriger, et ne se lassait pas de raconter le saisissement inouï du public à l’appel des trombones annonçant l’entrée de la statue. — C’était, disait-elle, à vous faire dresser les cheveux sur la tête. » En regard de cet air frémissant du premier acte, il convient d’en placer un autre sans lequel ce beau rôle de donna Anna ne serait pas complet : non mi dir, bel idol mio, scène également précédée d’un récitatif également admirable, mais d’un caractère tout différent, et ne respirant plus que lassitude, apaisement final et nostalgie de la tombe. Chose curieuse, ce morceau d’une connexion si intime avec l’ensemble du caractère ne devait venir qu’après coup ; Mozart d’abord ne l’avait pas écrit, et probablement nous ne l’aurions point sans l’insistance de la signora Teresa Saporiti, qui, chargée à Prague de la partie de donna Anna, trouva que son rôle tournait court au dernier acte, et réclama du maître cette page d’ineffable inspiration. Je sais que tous ne s’accordent pas sur la valeur de ce morceau ; la seconde partie du moins semble avoir le privilège de scandaliser les pédans :

Elle a cela pour elle
Que les sots d’aucun temps n’en ont pu faire cas.


Pour l’adagio, passe encore, on veut bien reconnaître quelque mérite à cette délicieuse élégie du commencement ; mais cet allegro, ces roulades au sein du désespoir, ces fades vocalises qui prouvent que les plus beaux génies sont obligés de payer un tribut aux caprices du mauvais goût. Heureusement le docteur Otto Jahn a là-dessus d’autres idées, et je renvoie à son ouvrage sur Mozart les lecteurs qui ne se laissent pas duper par des lieux-communs. « Cet air, en dépit de sa forme italienne et de ses passages di bravura, rentre tout à fait dans la physionomie de donna Anna, il exprime magistralement la suprême distinction du personnage ; les ornemens de la seconde partie eux-mêmes ont leur raison d’être, et qui les aura entendu exécuter par une vraie cantatrice restera convaincu que cette musique ne prête pas seulement au sentiment et à l’émotion, mais qu’elle les commande. » La vraie cantatrice du rôle, nous la possédons en ce moment ; j’ai dit comment, dans le duo de l’introduction, Mlle Krauss enlève le trait final, l’artiste répète ici son même effet ; elle part toutes voiles dehors, au lieu de s’amuser aux bagatelles du solfège, elle