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exercer une action médiatrice entre la droite et la gauche. Avec un peu de bonne volonté et d’insistance, il en serait résulté sans doute une œuvre de transaction qui aurait eu probablement contre elle les partis extrêmes, mais qui aurait pu rallier les hommes sensés et désintéressés en gardant l’autorité d’un acte de politique prévoyante. Il fallait, en un mot, s’inspirer jusqu’au bout de l’esprit qui a prévalu dans l’élection de M. le duc d’Audiffret-Pasquier. C’était simple et juste, et, dût la combinaison n’être point couronnée de succès, elle méritait d’être proposée, essayée, parce que seule elle répondait à la vérité de la situation, à une nécessité publique supérieure. On ne l’a point voulu, ou du moins, s’il y a eu des négociations, elles ont été si singulièrement conduites qu’elles devaient fatalement échouer, et, il faut bien le dire, s’il y a eu des difficultés, c’est de la droite, du centre droit qu’elles sont venues. Les grands diplomates de la droite, du centre droit, ont cru pouvoir dicter des conditions, comme si d’avance ils disposaient de la victoire. On a préféré se livrer à toute sorte de calculs, ouvrir le marché aux prétentions personnelles et se distribuer en famille les candidatures sénatoriales : 13 à l’extrême droite, 12 à la droite modérée, 17 au centre droit, 6 à la réunion Pradié, 5 à la réunion de Clercq, 7 au groupe Lavergne. Tout compte fait, on s’adjugeait 62 sièges sénatoriaux ; le reste, on daignait le laisser à la gauche et au centre gauche, ou même peut-être on le réservait pour quelques personnages étrangers à l’assemblée. Tout cela a été conduit avec un tel décousu, avec si peu d’esprit politique, que ces prétendus amis du gouvernement faisaient à peine une place au ministère dans leurs combinaisons. M. Buffet, M. de Meaux, comptaient sans doute au premier rang, ils étaient les favoris. Le malheureux M. Wallon n’aurait, dit-on, été accepté dans son groupe qu’à une voix de majorité, et encore la malignité ajoute-t-elle que cette voix était la sienne. M. le général de Cissey avait été tout d’abord oublié ou repoussé aussi bien que le ministre de la marine, M. l’amiral de Montaignac. L’un et l’autre ont eu la consolation d’être admis par les faiseurs de candidatures quand la déroute avait commencé.

Ainsi on a procédé, et en définitive quelle était la signification de ces arrangemens intimes ? Elle était peut-être dans un seul fait qui a été assez naïvement invoqué comme une considération déterminante, qui résume tout et explique tout : il y avait 36 candidats ayant voté contre la constitution, de telle sorte que pour la première application du régime constitutionnel il devait y avoir une majorité de sénateurs inamovibles plus ou moins hostiles à la constitution. On a même un peu gémi de voir la candidature déclinée par M. Chesnelong, — un homme qui avait tant fait pour la restauration monarchique et qui était probablement disposé à tant faire encore ! C’était tout simplement une revanche organisée contre le 25 février au profit de la politique du 24 mai entrant en victorieuse dans le sénat. Si la droite et le centre droit, en relevant ce drapeau, ont cru