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pouvoir compter jusqu’au bout sur les légitimistes sans distinction, sur tous les bonapartistes, et triompher ainsi de la forte discipline de la gauche, du centre gauche, ils se sont trompés ; ils ont été dupes d’un optimisme par trop confîant. Les bonapartistes auraient bien voté sans hésitation pour M. Buffet, ils ne peuvent pardonner au centre droit, aux organisateurs de la campagne contre les menées impérialistes, et sans façon ils ont pris la liste de la gauche, sauf à en retrancher quelques noms ; ils n’ont pas résisté à la tentation de montrer qu’il fallait compter avec eux, d’ajouter à la confusion. Les légitimistes les plus extrêmes, M. de La Rochette, M. de Franclieu en tête, ont fait mieux : ils se sont alliés ouvertement, ostensiblement à la gauche, qui de son côté a résolument accepté leur concours en inscrivant leurs noms sur ses listes. Dès lors les chances du scrutin se trouvaient visiblement modifiées ; le résultat était inévitable, et c’est ainsi que le centre droit, pour n’avoir point voulu de ses alliés les plus naturels, pour avoir trop compté sur des alliés douteux ou équivoques, pour s’être trop complu aux ambiguïtés ou aux indécisions, a fini par tomber dans ses propres pièges. Il se venge aujourd’hui par des plaintes, par des récriminations, en reprochant aux dissidens légitimistes leur alliance avec la gauche, en accusant la gauche d’ouvrir la porte du sénat aux ennemis les plus implacables de la constitution. Le reproche serait peut-être plus juste ou mieux autorisé, si l’on n’avait pas commencé par donner soi-même l’exemple de toutes ces évolutions, de ces mouvemens de stratégie parlementaire.

Eh bien ! soit, tout cela est l’œuvre de coalitions contraires, et les coalitions ne sont pas en général plus favorables à la dignité des partis qu’aux intérêts du pays. C’est un spectacle assez étrange, passablement incohérent, qui deviendrait même parfois suffisamment comique, si tant de questions sérieuses ne s’agitaient dans ce tumulte de passions d’amours-propres, de dépits irrités. Nous en convenons, la confusion est assez complète, au moins en apparence, et en définitive cependant de toutes ces combinaisons, même de toutes ces incohérences, il se dégage par degrés une instructive moralité. Ces élections sénatoriales ne sont nullement un simple désordre parlementaire comme on le croirait ; elles ont au contraire un sens profond, elles sont d’une certaine manière la confirmation du régime créé le 25 février, de ce régime que les partis les plus opposés servent sans le savoir ou sans le vouloir, par leurs échecs ou par leurs succès, par leurs résistances ou par leur concours.

On a beau faire, c’est la nécessité de la situation démontrée par tout ce qui arrive aujourd’hui. Le centre droit aurait pu certainement maintenir sa position, exercer une influence décisive par ses idées modératrices aussi bien que par le talent de quelques-uns de ses chefs ; il n’avait qu’à prendre sa place dans un parti sérieusement et sincère-