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et sauf, mais fort démonté, écrit-il trente ans plus tard, la pauvreté me poussa à faire des vers ; mais aujourd’hui que je possède tout ce que mon cœur souhaite, je serais un grand fou de forger des strophes au lieu de me solacier en rêvassant sur mon lit de repos. » Poète par nécessité, les vers ne furent pourtant pas un gagne-pain pour Horace, il avait sauvé de l’héritage paternel quelques débris qui l’aidèrent à subvenir aux plus pressans besoins ; mais son talent fut la clé d’or qui lui ouvrit la porte des grands et par là le conduisit à la fortune. Le forum et la curie gardaient le silence, aux mouvemens de la vie politique avaient succédé les émotions de la vie littéraire ; Auguste allait au-devant de ces tendances nouvelles, faites pour occuper les esprits et dédommager la société romaine de la liberté perdue. La poésie grecque ne se sépare pas de l’activité nationale, elle prend part aux jeux du peuple comme à ses victoires, la poésie et l’art romain sont affaires de cour et de bel air ; quand la liberté voile son front et quitte Rome, les muses, dansant et chantant, y pénètrent.

Des quelques deniers qui lui restaient, Horace commença par s’acheter une place de scribe chez le questeur, nous dirions aujourd’hui de secrétaire au ministère des finances, et dans les loisirs de l’emploi composa des satires. À Lucilius, l’inventeur du genre, on reprochait sa rudesse de ton ; Juvénal plus tard aura les haines vigoureuses, l’hyperbole ; la satire d’Horace n’est qu’enjouement, esprit, abondance, grâce, ciselures et pur langage ! À d’autres les colères fameuses, le trait grandiose et burlesque à la fois ! il ne s’indigne ni ne s’effarouche, et se contente de nous peindre les agitations de la place publique, les jeux du cirque, le tumulte de la voie sacrée, le train quotidien de l’existence. Dans cet art, Horace n’a point d’égal. À peine en ouvrant le livre, au parfum qui se dégage vous reconnaissez le poète des gens de goût de tous les siècles, l’auteur favori des mondains sans enthousiasme. Odes, épîtres et satires respirent la même philosophie, aimable, ingénieuse, sensuelle. Les muses, jusque-là reléguées sur les hauteurs de l’Hélicon, il les fait descendre de la montagne et continuer leurs danses, il les attire à nous, les domestique, et sous ses doigts experts et délicats la lyre pour la première fois détend ses cordes.

Asinius Pollion, Varius, Virgile, qui l’avaient à l’instant adopté, ne tardèrent pas à le conduire chez Mécène. Horace avait alors vingt-sept ans ; petit, souffrant des yeux et d’un extérieur médiocre, ! ce ne fut point sans embarras qu’il aborda la présence de cet homme d’état, le dispensateur accoutumé des faveurs princières. L’entretien dura peu ; Horace raconta diverses aventures de sa vie, et Mécène répondit, selon son habitude, quelques mots mesurés et